C’était Joseph Kasa-Vubu, le procès public pour sorcellerie

C’était Joseph Kasa-Vubu, le procès public pour sorcellerie

Nous sommes en 1917. Le village de Kinkuma-Dizi, situé dans le territoire de Tshela, dans la Province du Kongo – Central (Bas – Congo) est en ébullition. Pratiquement toute la population de ce petit village de la forêt du Mayombe et des environs est réunie à la grande place du village. Un évènement hors du commun va se dérouler aujourd’hui. Un homme va être jugé publiquement devant le tribunal coutumier présidé par le chef du village lui-même, en habit d’apparat. C’est un procès pas comme les autres. Parce que l’accusé est poursuivi pour sorcellerie et adultère. Il risque la peine de mort.

Mvubu Tsiku, présumé sorcier

Né probablement entre 1870 et 1880, le présumé sorcier s’appelle Mvubu Tsiku. Il est à la fois chasseur de gibier et commerçant ambulant. Marié à madame Mavungu Ma Tshubi Ma Phoba, le couple a déjà 6 enfants. Depuis plusieurs semaines, la rumeur publique l’accusait de sorcellerie. A cette première accusation est venue s’ajouter récemment celle d’adultère. C’est ainsi que le chef du village décide, pour apaiser les villageois, d’organiser ce procès public. Celui – ci consiste à faire boire à l’accusé une potion (décoction) fabriquée avec des écorces d’un arbre spécial que les Bakongo appelait « Khasa ». Ce « jugement de Dieu » était pratiqué au moyen âge en Europe sous le nom d’ordalies. On fait passer une épreuve difficile à l’accusé ; s’il s’en sort vivant, il est innocent ; s’il meurt, c'est qu’il était coupable.
Mvubu Tsiku, débout devant le chef, répond négativement aux deux questions qui viennent de lui être posées.

- Es – tu un sorcier ?
- As – tu commis un adultère ?

Le verdict

La tension, qui était déjà grande, monte encore d’un cran dans la foule lorsque le chef remet, avec solennité, un bol de Khasa à Mvubu et lui demande de boire. L’accusé s’exécute. Après avoir bu tout le contenu du bol, il se met à trembler et à transpirer pendant quelques secondes en ayant les yeux fermés. Ensuite, il se calme, ouvre les yeux et remet au chef le bol vide qu’il tenait dans ses mains. Le chef le regarde attentivement avant de prononcer son verdict à haute voix en Kiyombe : innocent ! " En vertu des pouvoirs qui me sont confiés par les esprits de nos ancêtres, Mvubu, vous pouvez rejoindre votre famille."

On pense que cette accusation de sorcellerie était fomentée par des individus qui étaient jaloux de la relative aisance matérielle de Mvubu. Ses activités de commerçant ambulant le conduisaient souvent à Cabinda où il côtoyait des portugais. A son retour, il ramenait à son épouse et ses enfants des vêtements et d'autres objets venus de l'Europe. Par exemple, à cette époque, avoir un parapluie était un signe de réussite sociale.

Bonne nouvelle : naissance de K’hasa

Apres le prononcé du verdict, les membres du clan de Mvubu, qui étaient restés jusque-là silencieux et terrorisés, poussent des cris de joie et viennent féliciter le héros du jour. C’est à ce moment précis que l’un d’eux va lui apprendre une bonne nouvelle : sa femme, mama Mavungu, qui n’était pas venue assister au procès de son mari parce que sa grossesse était à terme, venait d’accoucher d’un petit garçon. Naissance causée probablement par le stress du procès injuste fait à son mari.

Très heureux, Mvubu rentre rapidement chez lui, accompagné des membres de son clan. Arrivé à la maison, Mvubu prend le bébé, le soulève et le montre aux membres de son clan et aux voisins qui sont venus féliciter le couple pour cet heureux événement. Sur le champ, Mvubu annonce à la communauté que cet enfant, le 7e de la famille Mvubu, s’appellera K’hasa; comme l’épreuve qu’il venait de subir. Il espérait ainsi que ce nom donnera à son fils la force morale nécessaire pour surmonter toutes les épreuves que le destin et les hommes dresseront sur son chemin. Manifestement, le père de K’hasa avait raison; puisque ce nom, nous le verrons, va accompagner son fils jusqu'à la présidence de la République Démocratique du Congo.

Ainsi en 1917, les 7 enfants du couple Mvubu et Mavungu sont :

1° Samba Mvubu
2° Mbumba Mvubu
3° Mbuinga Mvubu
4° Matula Ma Mvubu
5° Mambu Ma Mvubu
6° Bundu Ki Mvubu
7° K’hasa Mvubu

Samba Mvubu, qui aura comme prénom de baptême Michel, sera formé comme catéchiste par les missionnaires catholiques de Kizu, première mission créée dans la région en 1906.

Le coup du destin : la visite d'un prêtre belge

Jusqu’à l’âge de 6 ans le petit K’hasa Mvubu a une vie ordinaire comme les autres petits villageois. Son père, Mvubu Tsiku, lui apprend à fabriquer des petits pièges pour les animaux dans la forêt. Mais sa vie va changer en 1924. En effet, un jour du mois d'octobre, il voit arriver dans son village, un certain Boniface Mbongo, ami et collègue catéchiste de son grand-frère Samba Mvubu. Boniface était accompagné d’un Père missionnaire blanc (européen) :
Les deux visiteurs s’arrêtent devant le groupe des petits villageois en train de jouer.

Le Père Prikartz souhaite partir avec le petit K’hasa

Le père missionnaire va s’intéresser particulièrement au petit K’hasa Mvubu, qu’il trouve intelligent et intrépide. Le missionnaire pose la question a un homme relativement âgé qui était assis devant sa case : " Qui est ce jeune garçon là – bas ?", en indiquant le petit K’hasa du doigt. Le vieux Muyombe répond que c’est le fils de Mvubu Tsiku, un des cadets. Le blanc demande alors s’il peut voir son père. Un groupe des jeunes va courir pour informer Papa Mvubu qu’un " Mumpe " (déformation en Kikongo et en lingala de « Mon père ») le cherche. Après les présentations d’usage, le Père missionnaire dit à Mvubu qu’il souhaiterait prendre le petit K’hasa pour aller l’inscrire à l’école de Kizu. Mvubu se retourne vers son fils et lui pose la question en Kiyombe :

« K’hasa, tidi kuenda kunzo nkanda ? »
« K’hasa veux–tu aller à l’école ».

Le petit répond oui à son père : Et Mvubu donne formellement l’autorisation paternelle pour que son fils aille étudier à l’internat de Kizu.

K’hasa reçoit le prénom chrétien de Joseph

C’est ainsi que le petit K’hasa quitte ses parents et sa famille à l’âge de 7 ans pour être pris en charge totalement par " Les Pères de Scheut ", une congrégation catholique d’origine belge. Les enfants de Kizu sont encadrés par le Père Prikartz et le directeur de l’école, le Père Armand Schermers.

Après 3 mois de préparation, K’hasa et ses camarades sont baptisés le 31 janvier 1925. C'est ce jour-là que le petit K’hasa reçoit le prénom chrétien de Joseph, comme le père nourricier de notre Seigneur Jésus-Christ. Désormais, il s’appelle officiellement Joseph K’hasa Mvubu. Mais c’est sous l' appellation de Joseph K’hasa qu’il va faire tout son cursus d’école primaire.

Comment le petit Joseph K’hasa va devenir Joseph Kasa–Vubu ? Quel est son cursus scolaire ? Comment ce garçon intelligent, courtois, discipliné, qui souhaitait devenir prêtre comme ses camarades de classe au grand séminaire de Kabwe, dans la province du Kasai, (Les futurs Mgr Malula, Nkongolo, Moke), va–t–il être rejeté par l’Eglise Catholique ? Comment il devient enseignant, fonctionnaire et puis politicien ?
Nous tenterons de répondre à ces questions dans la prochaine page.

A suivre !

 

Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national

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