Affaire Mwangachuchu : un procès de la haine et de la stigmatisation basé sur le stéréotype et l'exclusion (Défense)

Affaire Mwangachuchu : un procès de la haine et de la stigmatisation basé sur le stéréotype et l'exclusion (Défense)

« Le bureau de l'Assemblée National n'a jamais été requis pour autoriser l'arrestation de cet élu du peuple, comme l'exige la Constitution de la République, au fallacieux prétexte qu'il s'agissait d'un cas de flagrance. Depuis, ses immunités parlementaires n'ont jamais été levées ». C’est la déclaration faite le 28 août 2023 à Kinshasa. Me Thomas Gamakolo a rappelé que Edouard Mwangachuchu a été arrêté arbitrairement le 1er mars 2023 par le service de renseignements militaires sans aucune invitation préalable, ou sans prise compte de sa qualité de député national. 

Infractions mises à sa charge

« Contre Mwangachuchu, on a évoqué pêle-mêle l'infraction de l'intelligence avec le Rwanda et le M23, la haute trahison, l'espionnage, l'atteinte à la sûreté de l'Etat, l'incitation des militaires à commettre des actes contraires à la loi, participation à un mouvement insurrectionnel, détention illégale d'armes des guerres (découvertes, selon ce service, dans ce qui serait sa concession, située à 2.000 kilomètres de son domicile et du lieu de l'arrestation). Ces infractions ont été rétrogradées et/ou requalifiées à plusieurs reprises tout au long du procès et même après l'instruction de l'affaire ».

Procès sous la clameur publique

Faisant suite à cette arrestation cavalière opérée par le service de renseignements militaires, relève ses avocats, l’Auditeur Général des Fardc, a présenté Mwangachuchu le 5 mars 2023 en procédure de flagrance pour qu'il puisse répondre des faits infractionnels mis à sa charge. Dans son rapport lu devant le juge de la Haute Cour Militaire saisi de cette affaire, le Ministère public a nourri le doute sur la nationalité de Mwangachuchu, en évoquant un test Covid-19 le présentant comme un citoyen rwandais et en faisant allusion à l'ethnie des policiers commis à la garde de la Société Minière de Bisunzu (SMB), lesquels seraient, selon lui, à 98 % de l'ethnie Tutsi comme Mwangachuchu.

« Ces insinuations supposeraient que ces policiers seraient des militaires rwandais recrutés par Mwangachuchu pour être utilisés comme milices privées. Tout ceci ne s'appuyant sur aucune preuve, à part l'appartenance ethnique. Et c'est, malgré les dénégations constantes de trois commissaires divisionnaires de la police qui ont affirmé les avoir recrutés et détachés à la mine de Bibatama pour la sécurisation des installations et du personnel ».

« Assimiler un individu à un Rwandais par le temps qui court comme a fait le Ministère Public, c'est le vouer aux gémonies, voir, le condamner à mort aux yeux de l'opinion nationale. En effet, cette attitude de l'Organe de la loi a jeté en pâture la présomption d'innocence de notre client, laquelle présomption a été sérieusement attaquée sur les réseaux sociaux ».

Instruction du dossier

Me Thomas Gamakolo a relevé que les 30 audiences de ce procès ont été alimentées par un sentiment anti-Tutsi et anti-Rwanda savamment entretenu par le Ministère public. Dans ce contexte, Mwangachuchu a été confronté à un discours de haine et de discrimination développée aussi bien par le Ministère public que par les avocats de la République. 

Le fait que Edouard Mwangachuchu soit membre de la communauté Tutsi et de surcroît, président de l'association culturelle Issoko qui regroupe les membres de sa communauté ne fait pas de lui responsable des actes que poseraient certains Tutsi. Le député de Masisi a toujours condamné les actes criminels du M23. Il n'a cessé de le faire tout au long du procès. « Nous n'avons cessé de dénoncer ce discours haineux contre la communauté Tutsi à laquelle appartient notre client. Pendant ce procès nous avons entendu des propos du genre : Toutes les tribus de l'est de la RDC ont chacune un groupe armé et que le groupe armé pour l'ethnie Tutsis c'est le M23. Insinuant que tout Tutsi est membre du M23. Or, notre client est Tutsi, et donc pour le ministère public, Mwangachuchu serait forcément membre du M23. C'est qui est faux. C'est grave d'avoir ces genres d'arguments par déduction ».

« Le Congo vous a accueilli ». En s'adressant Mwangachuchu comme membre de la communauté Tutsi, la République à travers ses avocats a insinué qu’il appartiendrait à un groupe d'immigrés ou seraient des Congolais de seconde zone. C'est une marginalisation. C'est grave. Comment voulez-vous qu'une communauté entière soit traitée de cette façon au sein de la République, s’est demandé Me Gamakolo. Pendant qu'il y a des Congolais qui sont pauvres, lui, Mwangachuchu, a des mines » (on veut dire en réalité que lui, le Rwandais, a des mines).

Propos inacceptables

Edouard Mwangachuchu, âgé de 70 ans, très affaibli par la maladie, n'a pas eu droit aux soins médicaux. Toutes les demandes de libération conditionnelle pour raison de santé ont été rejetées. Et sa santé diminue sensiblement. Il est un homme qui est en train de mourir à petit feu, constate ses avocats.

Peine requise par l’organe de la loi

Dans son réquisitoire, le vendredi 25 août 2023, le Ministère public qui a demandé la prison à perpétuité n'a plus évoqué sa longue liste d'infractions, mais s'est parlé de trahison, de détention illégale d'armes de guerre et de participation à un mouvement insurrectionnel.

Pour la défense, ce réquisitoire est formulé sur base d'aucun élément de preuve. Et rien n'a été prouvé sur le fait qu’il financerait le M23, moins encore aurait fourni des armes aux membres de cette rébellion ou constituer un groupe d'hommes au sein de la concession pour renforcer les M23. S'agissant de cette concession de la SMB, il y a un péché originel qui consiste à faire croire qu'elle lui appartiendrait. C’est ce qui a poussé ses détracteurs à échafauder cette affaire dans le but de la lui arracher. « Malheureusement pour eux, cette concession ne lui appartient plus depuis 2014. La cachette d'armes dont on a fait allusion à 2000 km d'ici n'a jamais été démontrée. Nous regrettons que pendant près de 6 mois du procès, aucune descente sur le lieu, aucune reconstitution des faits, aucun témoin appelé à la barre parmi les prétendus découvreurs de ces armes de guerre. C'est injuste  ».

Des prétendus « découvreurs » d'armes

Des personnes se présentant comme des paysans Hutu, membres du groupe armé Nyatura, dirigé par un certain Mutayomba a prétendu avoir découvert le 28 février 2023 une cache d'armes sur le site minier de Bibatama appartenant à la SMB. « La défense déplore que le Ministère public n'ait jamais daigné de faire comparaître cet individu ni moins encore un certain Aboucar non autrement identifié, cité dans son rapport. Il est curieux de constater que c'est sur base de leur témoignage qu'un élu du peuple, un notable a été écroué. Comment la justice congolaise peut-elle accorder du crédit au témoignage de ceux qui sont à la base du chaos que nous connaissons aujourd'hui dans l'est du pays ? »

Au terme des audiences,la défense est arrivée à la conclusion selon laquelle toutes les preuves qu'on a tenté d'apporter contre Edouard Mwangachuchu s'articulent autour de son appartenance à l'ethnie Tutsi. Et cela a fait penser au Ministère public qu'il peut même se dispenser d'apporter des preuves irréfutables au-delà de tout doute inimaginable. 

« Un procès de la haine et de la stigmatisation basé sur le stéréotype et l'exclusion. Un procès de discrimination. On veut faire de notre client la victime expiatoire de tous les crimes et autres fautes supposément commis par des Tutsi, nous ne l'accepterons jamais. Nous estimons qu'avec ce procès, notre vivre ensemble et la cohésion nationale sont mis à rude épreuve. Notre client, n'étant pas le Jésus-Christ de Tutsi ne va pas être puni pour des faits d'autrui aux prétextes qu'il est de la même ethnie que des membres de la rébellion M23. Chacun doit répondre des faits individuellement commis. Nous croyons en la justice de notre pays, nous croyons qu'elle résistera à toutes formes de pressions internes ou externes, afin de rester au milieu du village et dire le droit ».

 

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