Jean Kalala Midibu est un artiste musicien congolais qu’on a du mal à classer. Adepte de la rumba congolaise, mais à qui il fait, de temps en temps, des infidélités en allant exploiter d’autres genres musicaux. Vrai intellectuel (il est licencié en Philosophie de l'université Saint-Augustin de Kinshasa), il lit beaucoup et s’intéresse aux problèmes sociétaux), mais un peu « Yankée » sur les bords (Yankée veut dire quelqu’un qui ne se laisse pas marcher sur les pieds) ; ayant une conscience politique très développée sans être politicien...
L'hymne à l'amour
En parcourant sa discographie, j’ai découvert une vraie perle artistique de la rumba congolaise, que j’aimerais décortiquer aujourd’hui avec vous. La chanson s’intitule « Quelle beauté ». Mais moi, personnellement, je l’appelle « l’hymne à l’amour ». Parce que c’est l’une des plus belles déclarations d’amour qu’on trouve dans la musique congolaise moderne.
Une très brève chanson
Dans la forme, cette chanson est déjà exceptionnelle par sa brièveté. Elle ne dure qu’une minute et cinquante-neuf secondes (1’59’’) ; alors qu’en moyenne, les chansons congolaises font entre 7 à 8 minutes. Ce dernier élément constitue déjà un handicap de la musique congolais pour passer dans les grands médias internationaux où les chansons doivent durer en moyenne de 3 à 5 minutes. Par exemple : 1° "Pour que tu m’aimes encore" ; de Céline Dion fait 4’11’’ ; 2° "Billie Jean " de Michael Jackson 4’56’’ ; 3° " Run the wordl " Beyonce 4’50’’.
Deuxième particularité de forme de la chanson « Quelle beauté », l’accompagnement musical se fait sur guitare sèche ; jouée par l’auteur-compositeur lui-même. Il a appris à jouer à la guitare à l’âge de 05 ans.
En ce qui concerne le fond de la chanson, on peut mettre en avant deux éléments essentiels : 1° La poésie chrétienne de Jean Goubald. 2° Les critères congolais de beauté féminine.
I. La poésie chrétienne de Jean Goubald
Le fils de fervents catholiques
Pour mieux analyser et comprendre les œuvres de Jean Goubald en général et de la chanson « Quelle Beauté » en particulier, il faut savoir que cet artiste–musicien congolais est fils de fervents catholiques. Son père, Oscar Mutambayi, fonctionnaire de son état et ancien séminariste, était dirigeant de chorales latines dans plusieurs paroisses de l’archidiocèse de Kinshasa. Sa mère, Jeanne Mbombo (respectueusement appelée « Ma zuani » déformation lingala de maman Jeanne) était une catéchiste (maman Malongi), chargée d’initier les jeunes et les nouveaux convertis aux fondements de la foi catholique.
L'élève des catholiques
Ajoutez à cela le fait que Jean Goubald a étudié dans les écoles catholiques (collèges Albert 1er et Saint-Théophile) et a été choriste à la Paroisse Saint-Augustin de Lemba, on comprend mieux pourquoi cet artiste a une si vaste culture biblique. Cette richesse culturelle se matérialise dans les deux strophes suivantes de la chanson sous examen :
1° - Est-ce que oza ya solo to nako rever ?
effort nini yango osala po ozala boye
- Bozenga neti yo moto obanda Eden
- Kitoko neti Yaweh a sculpta yo na maboko ee
2° -Soki na tangu ya salomon nde oza cantique neuf
-Soki na oyo ya Dawidi nde namona Rwanda kala
Traduction :
1° - Est-ce que tu es réelle ou je rêve ?
- Quel effort as–tu fourni pour être ainsi ?
- Belle comme si c’est toi qui étais au début au jardin d’Eden
- Jolie comme si Dieu t’a sculptée de ses propres mains.
2° - Si c’était à l’époque du roi Salomon, tu aurais été le neuvième cantique.
- A l’époque du roi David, j’aurais déjà été envoyé au Rwanda depuis longtemps.
Si la première strophe (1°) ne pose, à mon avis, aucun problème de compréhension, la seconde (2°) nécessite quelques explications.
Primo : Lorsque Jean Goubald dit à sa dulcinée que si elle avait vécu à l’époque du Roi Salomon, elle serait le neuvième cantique, il faut savoir d’abord qu’un cantique est un chant religieux dédié à Dieu dans le Judaïsme et le christianisme.
Le neuvième cantique du roi Salomon
Ensuite, il faut se souvenir que le roi Salomon avait 1000 femmes (700 femmes et 300 concubines, voir I Rois 11 :1) mais a composé seulement 8 cantiques qui sont consignés dans la Bible. Donc pour Jean Goubald, si la femme qu’il chante, et qui est très belle, avait vécu sous le règne du Roi Salomon, celui-ci, malgré les 1000 femmes qu’il avait déjà, aurait été obligé de composer un cantique de plus (le neuvième) en hommages à sa beauté.
Secundo : Que faut-il comprendre, lorsque Jean Goubald nous dit si sa belle avait vécu, cette fois-ci, sous le règne du Roi David, père de Salomon, lui Jean Goubald se serait déjà retrouvé au Rwanda ?
Le roi David fait tuer un mari pour récupérer l'épouse
Pour comprendre ce passage de la chanson, il faut se rappeler d'abord l’adultère du Roi David tel que raconté dans II Samuel 11 :1-27. En effet, l’ancien testament nous raconte dans les détails comment le Roi David, tombé amoureux de Bethsabée, la femme de son soldat Urie le Hittite, va envoyer ce dernier à la guerre, avec des instructions précises à Joab, le commandant des opérations des Israélites, pour que Urie soit exposé au front et soit tué. Et les choses se sont déroulées selon la volonté du Roi; Urie fut tué et David récupéra la belle veuve Bethsabée.
Le Rwanda ou l'incarnation de l'ennemi
Ensuite, il faut se souvenir qu’au moment où Jean Goubald écrit cette sublime chanson d’amour, la RDC traverse une période de multiples conflits armés avec le Rwanda. Comme c’est le cas actuellement avec la guerre du M23.
Donc, en tenant compte de ces deux paramètres, le crime du Roi David et la guerre avec le Rwanda, Jean Goubald veut simplement nous faire comprendre que si aujourd’hui le Roi David était le souverain du Congo, il l’aurait déjà envoyé au front à l’Est du pays (symbolisé par le Rwanda) pour qu’il aille se faire tuer. Ce qui permettrait au Roi David de récupérer sa Bethsabée.
Cette strophe nous permet de savourer la prodigieuse poésie de Jean Goubald tirée de la foi chrétienne.
II. Les critères congolais de la beauté féminine
Les canons de beauté occidentale
Sur quels éléments un Congolais moyen se fonde pour constater ou déclarer qu’une femme est belle ? En d’autres termes, quels sont les canons de beauté de la culture congolaise ? Parce que nous savons que les canons de beauté diffèrent selon les cultures, selon les sociétés. Par exemple, dans la culture occidentale, une femme est belle lorsqu’elle est mince, elle a des cheveux blonds, les yeux clairs (bleus ou verts), une grande taille, une poitrine généreuse sans être excessive. Le postérieur de la femme ne doit pas être très développé.
Les canons de beauté congolaise
Qu’en est-il dans la culture congolaise en particulier ? Jean Goubald, dans la strophe que nous allons examiner maintenant de la chanson « Quelle beauté » répond à cette question. Et je pense que beaucoup des Congolais se reconnaitront dans ces cinq critères, qui ne sont pas exclusifs, de cet artiste-musicien, sociologue amateur.
"- Muanango bonzenga, beauté naturelle
- Asangisa nzela minu na kingo mwambe
- Matama ekokota, na look oyo ya guitare
- Pona na oyo bayebi te, voilà ma bien-aimée ! "
Traduction :
"- La fille à l’élégance exceptionnelle et d’une beauté naturelle
- Cumule le diastème (petite fente entre les dents supérieures de devant ou dent de bonheur) avec les plis de peau du cou
- Avec des fossettes, et son physique qui ressemble à une guitare (forme en amphore).
Les critères congolais
Donc, pour Jean Goubald et beaucoup de Congolais, une femme est belle lorsque :
1° Elle est naturelle. Pour beaucoup de Congolais, la teinte de la femme importe peu. Elle peut être très noire de peau, marron ou avoir la peau claire ou très claire, le plus important est que sa teinte doit être naturelle.
2° La fente entre les dents ajoute un élément de plus dans le jugement esthétique des Congolais.
3° Les plis de peau au cou de la femme (que les Congolais appellent en lingala « kingo mwambe » qui veut dire 8 cous) sont très appréciés par les Congolais.
4° Les fossettes aux joues est un critère supplémentaire de beauté dans la culture congolaise.
5° La silhouette féminine en forme d’amphore ou taille de guêpe que Jean Goubald appelle « Look de guitare » fait aussi partie des canons de beauté congolaise.
Autres différences culturelles entre l'Afrique et l'Occident
Il faut toute fois noter que si dans la culture occidentale, la poitrine féminine généreuse est un critère de séduction, qu’on met en avant dans un décolleté, dans la tradition africaine, les seins féminins n’ont jamais eu des connotations sexuelles. Ce qui fait que, jusqu’à ce jour, dans certains villages, il n'est pas rare de voir des jeunes filles se baigner torses nues dans les rivières, et cela, sans aucune gène. Ou encore des femmes adultes, prendre l’air, lorsqu’il fait très chaud, le haut du corps sans vêtements.
En revanche, en Afrique, les parties postérieures très développées chez une femme sont très appréciées des hommes.
Une belle femme anonyme
En conclusion, on ne peut que féliciter et remercier cet artiste-musicien de talent qu’est Jean Goubald, qui nous fait voyager, dans une courte chanson de moins de deux minutes, dans l’histoire biblique (la religion), la poésie et la sociologie congolaise.
Le petit regret qu’on peut avoir en écoutant la chanson « Quelle beauté », est que, jusqu’à la fin, Jean Goubald, par jalousie certainement, refusera de nous donner le nom de sa belle...
Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national