Page d’histoire : c'était Etienne Tshisekedi wa Mulumba (suite)

Page d’histoire : c'était Etienne Tshisekedi wa Mulumba (suite)

L'exposition universelle de Bruxelles de 1958

Du 17 avril au 19 octobre 1958, la Belgique organise l’Exposition Universelle de Bruxelles ou Expo 58. Pendant 6 mois, 700 congolais vont participer à cette exposition.
Ces congolais sont invités,

1° soit par le gouvernement belge : Joseph Ngalula, René Bavasa, Paul Bolya

2° soit par des missions catholiques et protestantes :

- Jean Bolikango
- Joseph Iléo
- Albert Kalonji
- Jason Sendwe …

3° Soit par des institutions privées comme l'Université Lovanium : Etienne Tshisekedi

4° Soit dans le cadre de la Force publique avec 312 soldats

Joseph–Désiré Mobutu y est aussi, mais pour le compte de son journal.

La création du MNC

Le 10 octobre 1958, un groupe de congolais crée le parti politique MNC (Mouvement National Congolais). On y retrouve, entre autres :

1° Patrice Emery Lumumba
2° Gaston Diomi
3° Joseph Iléo
4° Joseph Ngalula
5° Cyrille Adoula
6° Albert Nkuli

Joseph Ngalula, cadre du MNC, est l’homonyme et très proche de l’ « autorité morale » de l’association « Conscience africaine », un autre Joseph Ngalula, qui est abbé. Ce prêtre catholique est le fils d’un militaire luba ancien combattant de la Force Publique et d’une mère mongo. Lors de son inscription à l’école primaire, le Père Raphaël de la Kethulle, dit « Tata Raphaël », a mal orthographié son vrai nom de Joseph Ngalula en Joseph Malula. Malgré la réclamation du père du petit Joseph, le nom de Joseph Malula est resté.

Donc la plupart des membres fondateurs du MNC, tel que Joseph Ngalula, sont des anciens de « Conscience africaine ».Et ce dernier va user de son influence dans le groupe pour imposer son ami Patrice Emery Lumumba comme président provisoire du parti MNC.

Etienne Tshisekedi adhère au MNC

Par ailleurs, beaucoup de jeunes vont adhérer à ce nouveau parti politique qui prône l’indépendance du Congo dans son unité. Parmi ces jeunes, on trouve Joseph-Désiré Mobutu, journaliste très proche de Patrice Lumumba, Jonas Mukamba, Emmanuel Nzuzi, Etienne Tshisekedi. Ce dernier sera nommé conseiller (représentant) du MNC à l’Université Lovanium.

Tension entre Patrice Lumumba et ses camarades

Après quelques mois seulement d’existence, la popularité et la personnalité de Patrice Lumumba commence à déranger certains de ses camarades fondateurs. En particulier Cyrille Adoula qui considère que Patrice Lumumba prend des initiatives et des positions au nom du MNC sans concertation préalable avec les autres membres du bureau politique. En d’autres termes, Patrice Lumumba se la joue en solo.

La scission du MNC


Joseph Ngalula, au centre

Dans un premier temps, Joseph Ngalula va tenter de contenir la colère et les frustrations de ses camarades. Mais, par la suite, ils vont finalement décider de déchoir Patrice Lumumba de la tête du MNC. Celui–ci s’oppose à cette décision de déchéance en arguant qu’elle est illégale, car seul le Congrès du parti peut le déchoir. Et Patrice Lumumba a le soutien de la base du parti. Ce qui, inévitablement, conduit à la scission du parti MNC en deux factions : le MNC–Lumumba (MNC-L) et le MNC-Kalonji (MNC-K). Les cadres aussi sont divisés. Joseph Mobutu, André Mandy, Evariste Loliki restent avec Patrice Lumumba dans le MNC-L ; tandis qu’Etienne Tshisekedi et Jonas Mukamba rejoignent le MNC-K.

Patrice Lumumba forme un gouvernement d'union nationale

Au mois de mai 1960, le MNC-L gagne les élections générales organisées à la veille de l’indépendance. Le parti de Patrice Lumumba et ceux de ses alliés (PSA d’Antoine Gizenga, BALUBAKAT de Jason Sendwe, le CEREA d’Anicet Kashamura, etc) disposent de la majorité absolue au Parlement. Mais Patrice Lumumba considère que le premier gouvernement du Congo Indépendant doit être d’union nationale. C’est ainsi que, par exemple, il donne le ministère des Finances à l’ABAKO de Joseph Kasa-Vubu et le ministère de l’Économie à la CONAKAT de Moïse Tshombe. Patrice Lumumba propose aussi le ministère de l’Agriculture à son rival politique et ancien camarade Albert Kalonji, président du MNC-K et agronome de formation. Ce dernier rejette l’offre, pour des raisons de préséance, semble -t-il.

Joseph Kasa-Vubu est élu président de la République

Le 24 juin 1960, le gouvernement Lumumba est investi au Parlement, dans la journée. Et le soir, Joseph Kasa-Vubu est élu Président de la République à la suite de l’Accord conclu avec Patrice Lumumba, celui-ci ayant donné un mot d’ordre aux députés de sa coalition en faveur du Président de l’ABAKO. Le 30 juin 1960, l’indépendance est proclamée en présence de Baudoin 1er , roi des Belges.

Les temps des secessions

Le lundi 11 juillet 1960, 11 jours seulement après la proclamtion de l’Indépendance, Moïse Tshombe, gouverneur de la province du Katanga, poussé par les « Katangaleux » (les colons belges du Katanga), proclame la sécession de sa province. Presqu'un mois plus tard, le lundi 08 août 1960, C’est au tour d’Albert Kalonji de proclamer la « sécession » du Sud-Kasaï. Le premier ministre Patrice Lumumba va se lancer, avec fougue, dans la lutte contre la balkanisation du Congo, orchestrée par les Belges, à travers ces deux sécessions de zones minières. Un conflit dû à la divergence d’approche sur la manière de régler ce problème de sécessions va naître entre le premier ministre Patrice Lumumba, qui est pour la manière forte et le Président Joseph Kasa-Vubu, qui croit aux vertus du dialogue. L’histoire finira par donner raison plus tard à Patrice Lumumba puisque la sécession kasaïenne sera anéantie par un coup de force interne (un coup d’Etat) mené par le général Tshinyama, de la Gendarmérie Kasaïenne, contre Albert Kalonji en septembre 1962. Tandis que la sécession katangaise sera anéantie par une opération militaire des casques bleus onusiens en janvier 1963.

Le conflit Kasa-Vubu-Lumumba éclate au grand jour

A Kinshasa, le conflit au sommet de l’Etat dégénère le 5 septembre 1960 au soir lorsque le Président Kasa-Vubu annonce à la radio la révocation du premier ministre Patrice Lumumba. Ayant suivi ce message à la radio, Patrice Lumumba passe à son tour à la radio et informe l’opinion que c’est lui, le premier ministre, qui destitue le président de la République. C’est la confusion.

Le premier coup d'État du colonel Joseph Mobutu

Dans cette anarchie, avec les encouragements de Larry Devlin (chef d’antenne de la CIA au congo) et du colonel Marlière (de services belges), le chef d’Etat-Major Général de l’ANC (Armée Nationale Congolaise), le colonel Joseph-Désiré Mobutu fait son premier coup d’Etat. En effet, le 14 septembre 1960, le colonel déclare la « neutralisation » du Président de la République, du 1er ministre et du Parlement. Il décide de confier la gestion du pays jusqu’à la fin de l’année à un « Collège des commissaires généraux » dirigé par Justin Marie-Bomboko.

Justin-Marie Bomboko recrute Etienne Tshisekedi

Ce dernier va recruter des jeunes universitaires et même des étudiants pour en faire des ministres. C’est ainsi qu' Etienne Tshisekedi est nommé commissaire général adjoint à la Justice alors qu’il est encore étudiant à Lovanium. Son titulaire étant Marcel Lihau. Durant leur mandat au gouvernement, Marcel Lihau et Etienne Tshisekedi vont faire la connaissance d’un jeune mulâtre qui travaillait au parquet de Léopoldville. Il est venu les voir pour solliciter un stage à Bruxelles. Cela lui a été accordé. Le requérant s’appelait Léon Lobitsh. Il fera une extraordinaire carrière politique sous le nom de Léon Kengo wa Dondo.

Le gouvernement des commissaires généraux prendra fin le 19 février 1961. Et Étienne Tshisekedi retourne à ses études universitaires. Mais il y aura un nouveau rebondissement dans la vie d’Étienne Tshisekedi.

Albert Kalonji devient le "Mulopwe"

Au mois de février 1961, Albert Kalonji, Chef de l’Etat sécessionniste du Sud-Kasaï se fait couronner « Mulopwe » (Empereur) par les chefs coutumiers Luba à Tshibata.
Désormais, le pouvoir devient héréditaire. L' épouse d'Albert Kalonji, Thérèse Tshilomba, devient la reine. Son fils ainé, Mukanya, devient le prince héritier.
Joseph Ngalula, le premier ministre de l’Etat Autonome du Sud-Kasaï, devenu Royaume fédéré du Sud-Kasaï, ayant montré son désaccord avec « ces égarements » d’Albert Kalonji, sera mis en résidence surveillée à Bakwanga (actuel Mbuji-Mayi), capitale du nouveau royaume.

L'entente des étudiants luba de Lovanium


Cléophas Bizala

Au mois d’avril 1961, quatre étudiants luba de l’Université Lovanium décident d’aller en délégation à Bakwanga pour s’enquérir de la situation auprès d’Albert Kalonji et de Joseph Ngalula. Et aussi, tenter de les convaincre sur la non-viabilité d'une sécession pour une région aussi enclavée que le Sud-Kasaï. Ces quatre étudiants sont :

1° Etienne Tshisekedi
2° Ferdinand Kazadi
3° Cléophas Bizala
4° Félicien Ilunga

Il faut noter que Mabika Kalanda, pourtant membre de l’entente des étudiants luba de Lovanium, va se désolidariser de cette initiative de voyage au Kasaï. Pour lui, Albert Kalonji est un illuminé qu’on ne pourra pas raisonner.

Jonas Mukamba rejoint le groupe

Justement, pour faciliter les échanges avec Albert Kalonji, le 4 délégués décident d’associer à leur démarche un étudiant luba de Bruxelles qui est très proche d’Albert Kalonji : C’est Jonas Mukamba. L’invitation lui est alors lancée et Jonas Mukamba arrive à Kinshasa.

Chez le Mulopwe à Bakwanga

C’est ainsi que les 5 camarades débarquent à Mbuji-Mayi. De l’aéroport, ils sont directement conduits à la résidence du « Mulopwe ». Jonas Mukamba, comme d’habitude, s’avance pour faire l'accolade à son vieux Kalonji ; il est bloqué dans son élan par un chef songye du nom de Tshibamba, le féticheur personnel du « Mulopwe ». Tshibamba leur explique alors les nouvelles règles protocolaires qui désormais interdisent, notamment, d’avoir des contacts physiques avec le « Mulopwe ».

Pour le saluer, il faut se tapoter les deux mains en faisant une révérence avec le haut du corps. Les délégués de Kinshasa, après s’être soumis à ce rituel, s’installent sur des chaises en face de l’Empereur. Ce dernier est assis sur son trône, les pieds posés sur une peau de léopard et une hachette sur l’épaule gauche. Le cou rempli de colliers, des dizaines de bracelets attachés aux poignets et aux chevilles.

La Table-Ronde de Coquilhatville de 1961

Albert Kalonji « le Mulopwe » prend la parole en premier pour leur souhaiter la bienvenue sur la terre de leurs ancêtres. Pour les échanges, il leur demande de revenir le soir. En attendant, le protocole « impérial » les installe dans leurs appartements. Mais l’entretien en question n’a pas pu avoir lieu le soir comme prévu. Le Mulopwe ne va recevoir les 5 délégués que deux jours après leur arrivée, mais juste pour les informer d'une urgence qui l'oblige à se déplacer. En effet, il leur explique que Moïse Tshombe et lui-même Albert Kalonji sont conviés à une table ronde organisée par le Président Kasa-Vubu à Coquilhatville à partir du 24 avril 1961. Il doit partir dans l’heure. Mais, il compte revenir dans une semaine. Il demande donc à la délégation des étudiants de l’attendre. Ces derniers acquiescent.

Le Mulopwe voyage avec Ngalula, son prisonnier

Avant de quitter la résidence, un des collaborateurs du Mulopwe attire son attention sur le fait que, en partant, il laisse derrière lui Joseph Ngalula en résidence surveillée. Celui-ci pourrait être tenté de faire un coup d’Etat à l’absence de l’empereur. Le Mulopwe va décider, sur le champ, d’emmener son prisonnier avec lui à Mbandaka. C’est ainsi que Joseph Ngalula est conduit à l’aéroport où il prendra place à bord de l’avion du Mulopwe. Afin de s’assurer que tout se passera bien pendant son absence, Albert Kalonji va nommer Norbert Beya un des proches collaborateurs, ministre plénipotentiaire.

Les cinq délégués sont nommés ministres

Après le décollage de l’avion, Norbert Beya invite les cinq délégués à venir partager un repas chez lui. Les étudiants acceptent la proposition. Ils se retrouvent ainsi autour de la table dans la résidence du ministre plénipotentiaire du Mulopwe. Avant de commencer à manger, Norbert Beya informe ses invités que le Mulopwe, avant son départ, a signé un décret impérial qu’il se doit de leur lire. C'est pendant la lecture que les convives découvrent, ébahis, qu’ils sont nommés ministres de la sécession Kasaïenne; sans avoir été consultés au préalable. Voici la teneur de la décision :

1° Etienne Tshisekedi, Ministre de la Justice
2° Jonas Mukamba, Ministre de l’Intérieur
3° Ferdinand Kazadi, Ministre de la Gendarmérie Kasaïenne
4° Cléophas Bizila, Ministre de l’Education
5° Félicien Ilunga, Ministre de la Santé

Etienne Tshisekedi s'échappe de Bakwanga

L’un des nominés avouera, par la suite, que cette nomination leur avait coupé l’appétit. Ils se sont sentis comme pris au piège. Ils vont alors chercher des subterfuges pour quitter, sans clash, Bakwanga. Et le premier à trouver une solution personnelle fut Etienne Tshisekedi. Il va entrer en contact avec son ami Dikonda, resté à Kinshasa, pour lui demander de lui envoyer un faux télex au nom du recteur de l’Université Lovanium, Monseigneur Luc Gillon, l’invitant à rentrer d’urgence à Kinshasa à cause de ses études. Cet alibi va permettre à Etienne Tshisekedi de quitter Bakwanga.
Ces autres camarades vont aussi trouver des stratagèmes pour quitter le Royaume Fédéré au Sud-Kasaï. Sauf Ferdinand Kasadi qui, lui, décidera de rester et d’exercer ses attributions de ministre de la Gendarmérie Kasaïenne.

Etienne Tshisekedi, premier docteur en Droit de Lovanium

Quelques mois plus tard, Etienne Tshisekedi termine ses études universitaires et il est proclamé docteur en Droit. Et c'est le premier juriste congolais formé au Congo.
Face à la pénurie des cadres dont souffre le Congo, le président Kasa-Vubu va nommer Etienne Tshisekedi directeur général (recteur) de l’École Nationale de Droit et d'Administration (ENDA).

 

Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national

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