Mboka Kongo - Décolonisation et Renaissance de notre nation : transformer les missions catholiques coloniales en entités nationales libérées

Mboka Kongo - Décolonisation et Renaissance de notre nation : transformer les missions catholiques coloniales en entités nationales libérées

L’argumentaire justificatif colonial habituel s‘appuie sans cesse sur le travail des missions catholiques. Elles sont présentées comme hauts lieux d’apprentissage civilisationnel à travers les écoles et les centres hospitaliers. Ces deux pôles d’activité sont comme les porte-étendards de la réussite colonialeauréolée par la formation de l’élite congolaise qui dirige le pays depuis le retour à l’indépendance. En me basant sur cette fameuse prouesse, au vu du chaos généralisé que connait le pays (930 partis politiques, d’innombrables groupes armés, des détournements massifs), dans cet article, j’interroge l’impact réel de l’ambition coloniale à travers l’érection des missions catholiques. Cela d’autant qu’elles ont divisé la population, jadis unie, en deux camps ennemis méthodiquement constitués à savoir celuides lettrés (évolués) contre celui des villageois sauvages (Bato batanga vs Baoyo batanga te) ; et armé leurs élèves contre leurspropres villages traditionnels et leur civilisation ancestrale. Par conséquent la question du bienfait de ces missions se pose. Car dès le début elles ont fait partiedu projet colonial du Roi Léopold II de confiscation par la force du territoire, du pouvoir et des richesses congolais.

C’est un fait connu, souligné par plusieurs écrivains, qu’en fondant l’État Indépendant du Congo, le Roi Léopold II voulait offrir un nouveau territoire à la Belgique pour la consommation de ses produits et pour la fourniture des matières premières à ses usines. La prétendue ouverture à la civilisation ou la noble croisade pour le progrès n’étaient que des leurres (Major A. Cayen, 1938, p. 123-124 ; 157-158). Quoique n’ayant jamais été au Congo, il avait donné un empire à la Belgique (Paul Ribeaud, 1961, p. 31) et était habité par un grand désir d’agrandir les horizons de ce pays à l’étroit (Baron Carton de Wiart, 1950, p.1).

Pour la réalisation effective de ce projet, il avait recouru en premier lieu au précieux concours des Congrégations religieuses. Elles étaient la clé qui devait ouvrir large l’occupation coloniale à partir du nouveau mode d’instruction imposée à la jeunesse congolaise. C’est pour cela que dès 1885 il misa sur elles en tant qu’agents et artisans principaux de son « œuvre de civilisation chrétienne ». Après avoir obtenu la bénédiction du Saint-Siège, il redoubla d’ardeur pour avoir un maximum du personnel ecclésiastique belge à envoyer au Congo (Joseph Van Wingi, 1950, p. 10).

D’après son secrétaire, c’est lui-même qui avait entrepris les démarches auprès de la quasi-totalité de 31 congrégations religieuses masculines et 65 féminines pour leur installation au Congo. Il alla en personne frapper à la porte de la maison des Missionnaires du Cœur Immaculé de Marie, Pères de Scheut. Il se rendit à Malines chez le Cardinal Goossens et sollicita des missionnaires parmi le clergé séculier. En réponse, un séminaire africain fut ouvert à Louvain. Les Scheutistes, les Jésuites, les Pères Blancs, des Chanoines Prémontrés, tous répondirent positivement. Les Prêtres Séculiers de Saint-Joseph et de la congrégation de Mill-Hill vinrent grossir le groupe. Enfin, après ces efforts et les succès remportés, le Roi réunit tous les Supérieurs des Missions Catholiques au Congo le 5 novembre 1905 dans son palais pour les remercier et les rassurer sur ses promesses d’appui. En raison de cette proximité les Missionnaires du Congo le vénérèrent et exposèrent son portrait à la dévotion des jeunes Congolais (Baron Carton de Wiart, 1950, p. 2-5).

Finalement, après les Pères Blancs, établis au Congo dès 1880 à Mazanzé, plusieurs congrégations les rejoignirent à partir de 1885. Il s’agissait de : Scheutistes, Jésuites, Trappistes, Prêtres du Sacré-Cœur, Prémontrés, Rédemptoristes, Pères de Mill-Hill, Pères du Saint-Esprit, Bénédictins, Capucins, Salésiens, Dominicains, Franciscains, Croisiers, Frères des Écoles Chrétiennes, Frères de la Charité et Maristes, Sœurs de la Charité, de Notre-Dame, Sœurs Blanches, Sœurs Franciscaines, Sœurs Dominicaines de Fichermont et une dizaine d’autres ordres (Pierre Daye, 1936, p. 131). Elles ont ainsi formé le bataillon des missionnaires qui ont occupé tout le territoire congolais.

Le roi avait instruit ses agents au Congo d’accorder en priorité toutes les facilités aux missionnaires. Plus tard une convention fut signée, le 26 mai 1906, entre le “Saint-Siège“ et le Gouvernement de l’Etat Indépendant du Congo qui octroyait aux missions catholiques au Congo les terres nécessaires à leurs œuvres religieuses. Leur superficie variait de 100 à 200 hectares de terre cultivable. Propriétés inaliénables des missions, octroyées à titre gratuit et en propriété perpétuelle, elles comprenaient aussi bien les forêts, les savanes que les ruisseaux et les rivières. Leur emplacement était déterminé de commun accord entre le gouverneur général et le supérieur de la mission, sans un moindre avis des autochtones ignorés (cf Mopondi Bendeko Mbumbu).

Ces missions étaient des véritables royaumes où les missionnaires régnaient en maîtres absolus. Le supérieur, chef suprême, y établissait des actes d’état civil. La mission de Kisantu (Kwango), par exemple, près d’Inkisi, était une véritable abbaye de type médiéval couvrant de larges étendues de terre. Elle surplombe un grand plateau d’où l’influence missionnaire jésuite s’abat sur toute la région. La mission de Buta dans les Uele a des dimensions semblables. Ce large domaine fut octroyé aux Prémontrés, tandis que les Pères Blancs occupaient ceux de M’pala et de Baudouinville, et les Bénédictins, le Katanga. Chaque congrégation reçut ainsi sagrosse étendue de terre avec le devoir d’obtenir l’adhésion des Congolais au projet colonial à travers l’enseignement. Car il était entièrement entre leurs mains. Elles devaient faire pousser la « civilisation chrétienne européenne » dans les têtes des jeunes Congolais (Pierre Daye, Le Congo belge, 1936, p. 134-141).

Elles jouissaient de la liberté d’entreprendre toutes les initiatives qu’elles voulaient car les administrateurs coloniaux ne s’ingéraient pas dans la gestion quotidienne des missions. Elles étaient des états au sein de l’EIC. L’administration coloniale passait son chemin car cela contribuait à son implantation et à son maintien définitif sur le sol congolais. Ce statut de souveraineté pour la destruction de la culture congolaise devint celui des vicariats apostoliques érigés en diocèses. Il est maintenu jusqu’à ce jour.

Le problème est que ces immenses étendues de territoire confisquées par les missions et qui demeurent en l’état jusqu’à ce jour sont des territoires que Congolais utilisaient pour leurs besoins d’alimentation à travers la chasse, la pêche et l’agriculture. J’ai montré dans des articles précédents que le territoire congolais est culturel, c’est-à-dire qu’il appartient à des villages, des tribus, des ethnies spécifiques. Notre tradition demande de respecter le territoire du voisin. Or les missionnaires et les autres colons n’ont pas suivi ce principe. Ils se sont emparés d’autorité divine des territoires d’autrui. Cela veut dire que les missions qui demeurent en l’état et les diocèses, y compris dans nos villes et cités, sont des territoires aliénés. Ils sont le résultat de la colonisation ou de l’utilisation de la force contre les véritables héritiers.

Pourtant contrairement au pays lui-même qui est revenu à ses propriétaires congolais, à l’indépendance les missions sont demeurées les biens de l’Église romaine, c’est-à-dire de la colonisation,  cela jusqu’à ce jour. Leur maintien signifie son maintien. Les Congolais qui ont repris en mains ces missions obéissent toujours à l’autorité coloniale romaine. Ils perpétuent l’esprit et le modèle colonial. Jusqu’aujourd’hui ils vivent en communautés séparées des autres Congolais qui doivent les servir par bataillons entiers des travailleurs. Comme les missionnaires, jadis, ils sont invités à table par des clochettes, convoquent les chrétiens à l’église à 6h du matin et ont des horaires de messe pour les intellectuels où on chante en latin. Ainsi donc les missions demeurent des lieux de résistance et du maintien de la colonisation européenne, cette fois par l’entremise des Congolaisqui colonisent les leurs. En effet, de l’avis de nombreux observateurs extérieurs, beaucoup parmi le personnel ecclésiastique congolais ont tendance à coloniser les autres, à dominer et à s’imposer.

C’est pour cela que je propose de renoncer à ce modèle de village et de quartier colonial d’apartheid dont le but est d’imposer le modèle européen aux jeunes Congolais. Le mépris de soi-même, de sa culture, de sa langue tel que cela se voit au sein de notre société, vient de ce modèle que nous maintenons. Il est urgent d’y renoncer et de nous réconcilier entre nous, ainsi qu’avec nous-mêmes.

Je suggère donc premièrement la restitution à leurs propriétaires traditionnels des terrains acquis illégalement. Ceci apportera la paix entre les habitants des villages ou quartiers environnants et les missions. Car jusqu’à ce jour ils réclament leurs droits bafoués par le régime colonial. Les missions n’ont pas besoin de vivre séparer des autres villages ou quartiers sans autre lien que celui de la domination. Deuxièmement, il est tout à fait indiqué, se trouvant en milieu africain, que les missions soient régies par la loi ancestrale congolaise comme les autres villages et quartiers. Cela veut dire que le supérieur de la mission ou le curé du coin devra être un chef comme les autres. Il prendrait part aux réunions et délibérations réunissant l’ensemble des villages ou quartiers où se trouve la mission/paroisse.

De cette façon celle-ci ne sera plus perçue comme une entité étrangère. Au contraire, elle va intégrer la dynamique des autres qu’elle pourra catalyser de l’intérieur et non plus à travers la dictature inquisitoriale ecclésiale. Enfin il faudra également restructurer nos diocèses suivant le modèle ancestral d’union et d’unité dans la diversité culturelle et socio-politique contrairement au modèle colonial chrétien d’accession au pouvoir par des accoutrements imposés, la division et l’opposition entre frères.

 

Prof. Kentey Pini-Pini Nsasay 
Université de Bandundu (Uniband) et Institut Africain d’Études Prospectives (Inadep)

 

Notice bibliographique

Major A. Cayen, Au service de la colonie, Bruxelles, Jean Dewit, S.A., 1936 ; Paul Ribeaud, Adieu Congo, Paris, Table Ronde, 1961 ; Baron Carton de Wiart, L’appel missionnaire d’un grand Roi, dans Grands Lacs, Revue générale des Missions d’Afrique, n° 8-9, L’Église au Congo et au Ruanda-Urundi, 15 avril 1950 ; Joseph Van Wing, Évangélisation et problèmes missionnaires, dans Grands Lacs, idem ; Pierre Daye, Le Congo belge, Bruges, Librairie de l’œuvre de Saint-Charles, 1936 ;Mopondi Bendeko Mbumbu, Des objectifs de l’enseignement à la formation des enseignants en République Démocratique du Congo, http://www.congoforum.be/upldocs/lenseignementenrdcselonle profmopondi.pdf

 

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