La fin du Maréchal Mobutu : la rencontre d’Outeniqua (Episode 2)

La fin du Maréchal Mobutu : la rencontre d’Outeniqua (Episode 2)

Le clan Mobutu craint un piège américain

Au fur et à mesure que la date du 2 mai 1997, date fixée pour la rencontre Mobutu–Kabila sur l’Outeniqua approche, l’angoisse s’accroit dans le cercle familial du Maréchal. En effet, pour les membres de la famille du président Mobutu en général, la rencontre organisée par les sud-africains sur leur navire de guerre est un guet–apens pour enlever le Maréchal et le contraindre à démissionner, si pas le tuer. C’est ainsi que l’épouse (Mama Bobi Ladawa), la belle–sœur (Mama Kossia) et les enfants du Maréchal décident tous, par solidarité familiale, de l’accompagner à bord du navire Outeniqua ; quitte à partir en exil ou se faire tuer avec lui. Ce climat d’inquiétude qui règne autour du Maréchal va produire une conséquence inattendue. Le jour du départ pour Pointe–noire (le 2 mai), plusieurs membres du personnel travaillant à la Présidence et qui avaient été sélectionnés pour accompagner le Maréchal au Congo–Brazza vont disparaître : gardes du corps, membres du protocole, maîtres d’hôtel. Une façon pour eux d’échapper à « l’exil forcé ».

Le Maréchal Mobutu invite Lissouba et Eyadema à l'accompagner à bord du bateau

Intoxiqué par les rapports de ses « conseillers occultes et collaborateurs sans titre», le Maréchal reste très inquiet quant à la bonne foi de Nelson Mandela à son égard. Il est convaincu que les sud-africains sont des pions que les américains utilisent pour lui régler ses comptes. Ne pouvant plus faire marche arrière quant à la rencontre avec Kabila sur l’Outeniqua, le Maréchal Mobutu, pour se rassurer, invite le Président Eyadema du Togo et le président Lissouba du Congo–Brazzaville à l’accompagner sur le navire sud-africain.

Mandela s'oppose à la présence de Lissouba et Eyadema sur son bateau

Le 2 mai 1997, vers 11h, le Maréchal et toute sa nombreuse délégation arrivent à Pointe–Noire. Ils sont installés dans une villa que le président Lissouba avait mise à leur disposition. Le président togolais arrive à son tour à Pointe–Noire dans les après–midi. L’arrivée de cet invité du Maréchal va être à l’origine d’un incident diplomatique. Le président Mandela, qui apprend que le Maréchal Mobutu souhaite se faire accompagner sur l’Outeniqua par les présidents Lissouba et Eyadema, déclare que ces derniers ne sont pas les bienvenus sur son bateau. Pour justifier son refus, il dit que Laurent-Désiré Kabila pourrait ne pas apprécier la présence sur le bateau de ces amis du Maréchal Mobutu et décliner l’invitation. Pour le Maréchal, le refus de Mandela pour qu’il se fasse accompagner par ses deux invités est une preuve évidente que la rencontre d’Outeniqua est un piège fomenté contre lui. Il décide alors de ne pas monter sur le bateau sud-africain. C’est alors que les présidents Lissouba et Eyadema vont persuader le Maréchal de monter tout de même sur l’Outeniqua en l’assurant que, eux, resteraient sur le quai et prendraient des dispositions nécessaires en cas d’incidents.

Le Maréchal la présence de l'ambassadeur français.

Pour plus rassurer le Maréchal, le président Lissouba va même intégrer ses propres gardes du corps dans l’équipe de sécurité du Maréchal. En dépit de toutes ces garanties, le président Mobutu va formuler une exigence supplémentaire avant de monter sur l’Outeniqua. Puisque Bill Richardson, l’envoyé spécial du président américain Bill Clinton, est sur le bateau, le Maréchal demande au président Mandela d’accepter, pour équilibrer, la présence de l’ambassadeur français. Le président sud-africain va le lui concéder.
C’est ainsi qu’à 16heures, le cortège du Maréchal Mobutu s’engouffre dans le navire sud-africain qui avait accosté au port de Pointe-Noire. A l’intérieur du bateau, le Maréchal est conduit, par ascendeur, à son appartement, avec ses collaborateurs et les membres de sa famille.

Outeniqua prend le large

A 17h, Outeniqua prend le large. Il était convenu qu’après 45 minutes de navigation, lorsque le navire aura atteint les eaux internationales, un hélicoptère amenant Laurent-Désiré Kabila, viendra le rejoindre. Après 1h de navigation, aucune nouvelle de l’hélicoptère. Au bout de 2h, la panique apparaît autour du Maréchal ; d’autant plus qu’on aperçoit dans les parages un bateau de guerre américain. Pour la famille du Maréchal, c’est le piège qui se referme sur eux : Outeniqua est venu livrer le président Mobutu aux américains ! Puis, soudainement, dans la nuit de l’océan Atlantique, on entend le bruit caractéristique d’un hélicoptère en approche. L’appareil atterrit sur l’héliport d’Outeniqua. La portière s’ouvre. Tout le monde est curieux de voir enfin en face le célèbre chef rebelle Laurent-Désiré Kabila. Mais, à la surprise générale, un homme descend et il est relativement mince.

Tout le monde reconnait la silhouette de Thabo-Mbeki, le vice–président sud-africain. Et il est seul. Kabila a refusé de venir au rendez-vous, il est resté à Luanda (Angola). Il estime que les conditions de sa sécurité ne sont pas réunies.

Laurent-Désiré Kabila n'est pas venu au rendez-vous

La déception se lit sur tous les visages. Celui de Nelson Mandela en particulier, qui prend l’absence de Kabila comme un affront personnel devant le monde entier. Il va avoir des mots très durs contre le président de l’AFDL.

Paradoxalement, la volte-face de Kabila apparaît pour les membres de la famille du Maréchal comme une victoire diplomatique. Ils considèrent que le chef rebelle s’est disqualifié lui-même devant le monde entier. Pour exprimer sa joie, Mama Kossia, la sœur jumelle de Mama Bobi, se met à chantonner un cantique en lingala « Elonga ezali na makila ya Yesu » (La victoire par le sang de Jésus–Christ). Le Maréchal Mobutu est lui-même très joyeux. Il considère qu’il a marqué un point important sur le plan diplomatique. De son côté, Honoré Ngbanda, le conseiller spécial du Maréchal, qui est resté très lucide, s’interroge : « A quoi sert cette victoire diplomatique face à l’avancée inexorable des troupes de Laurent-Désiré Kabila et de ses alliés (Angolais, Rwandais, Ougandais, …) vers Kinshasa ? ». De retour à Pointe–Noire, Outeniqua accoste vers 22h. Le président Lissouba accueille le Maréchal au port et le raccompagne à sa résidence.

La surprise de Laurent-Désiré Kabila

La journée du 3 mai 1997, va être consacrée, toujours à Pointe-Noire, par le Maréchal à des réunions diplomatiques. (Entretien avec l’ambassadeur Sahnoun, envoyé spécial de l’ONU, Thabo Mbeki, le président Lissouba…). Le Maréchal envisage de convoquer, pour le 4 mai, un mini-sommet des chefs d’Etat de l’Afrique centrale pour condamner l’attitude de Laurent-Désiré Kabila.
A 21h, la délégation du Maréchal apprend avec étonnement cette nouvelle : Laurent-Désiré Kabila, le président de l’AFDL, vient d’atterrir sur l’Outeniqua ! Les proches parents du Maréchal réagissent de façon épidermique : pas question de le rencontrer, Kabila veut humilier le Maréchal en le faisant attendre pendant deux jours.

Le Maréchal Mobutu accepte de rencontrer Kabila

Le matin du 4 mai 1997, le Maréchal tient une réunion avec ses collaborateurs : Gérard Kamanda, ministre des Affaires Etrangères, Félix Vunduawe, directeur de cabinet, Honoré Ngbanda, conseiller spécial et Ngawali Mobutu, conseillère diplomatique et fille du Maréchal. Ce dernier informe ses collaborateurs, qu’après réflexion, il a décidé de rencontrer Kabila, bien qu’il soit arrivé avec deux jours de retard au rendez–vous. C’est pour donner une chance au processus de paix. Le président Lissouba est venu voir le Maréchal vers 9h. Le président Mobutu l’informe aussi de sa décision de rencontrer Kabila sur Outeniqua. Le président du Congo-Brazza salue la « grandeur d’esprit du Maréchal ».

Le huis-clos Mandela-Mobutu-Kabila

Vers 10h, le président Mobutu et sa délégation remontent sur l’Outeniqua ; tout en ayant au préalable exigé et obtenu du président Mandela que le bateau reste à quai. Plus question que le navire navigue vers les eaux internationales. Dès son installation, le président sud-africain remet au Maréchal Mobutu le projet d’ordre du jour proposé par Laurent-Désiré Kabila qui ne comporte qu’un seul point : la reconnaissance du retrait du Maréchal Mobutu en faveur du président de l’AFDL.

A 11h, le président Mandela s’enferme pendant une heure et demie dans un huis-clos avec ses deux invités, le Maréchal et Laurent–Désiré Kabila. Le vice-président Thabo Mbeki participera aux échanges vers la fin de la réunion. La teneur des échanges a été tenue secrète. Il y aura seulement un communiqué final pour informer l’opinion que les deux parties se sont mis d’accord… pour se retrouver au même endroit dans 10 jours. C'est-à-dire le 14 mai.

L'échec des pourparlers d'Outeniqua

En réalité, la réunion d’Outeniqua a été un échec. Le Maréchal n’a pas accepté la demande de sa démission comme chef de l’Etat en faveur de Kabila. Pour lui, cette rencontre était une mise en scène des américains pour le forcer à céder le pouvoir à Kabila. Mais les troupes de l’AFDL poursuivent leur progression vers Kinshasa. Et le Maréchal, malade et fatigué, revient au pays les mains vides. Les Kinois sont de plus en plus inquiets. Ils craignent la confrontation des militaires de Kabila avec ceux de la DSP dans la capitale. Les familles de dignitaires ont déjà commencé à quitter la capitale. C'est le sauve-qui-peut.

Outeniqua 2

Comme convenu, le Maréchal Mobutu revient à Pointe-Noire le 14 mai 1997 à 11h, pour la dernière rencontre avec Kabila sur Outeniqua. Il sera réinstallé dans la même villa que précédemment.
A 17h30 le Maréchal Mobutu et les membres de sa délégation sont informés par les sud-africains que Laurent-Désiré Kabila ne viendra plus pour le second round des pourparlers d’Outeniqua. Le président de l’AFDL a décidé de poursuivre sa marche victorieuse jusqu’à Kinshasa, pour y chasser le Maréchal manu militari et mettre ainsi un terme à 32 ans de règne. L’illusion d’une solution politique négociée sans démission du Maréchal Mobutu s’est envolée comme de la fumée. Pour les mobutistes, les carottes sont cuites.

Les généraux zaïrois demandent au Maréchal de quitter Kinshasa

Après cet échec d’Outeniqua 2, le président Mobutu revient à Kinshasa le 15 mai 1997. Et là, pour la première fois, depuis sa prise de pouvoir par un coup d'État contre le président Joseph Kasa-Vubu le 24 novembre 1965, qu' n'y ait aucun officiel ou comité d’accueil qui l’attend à l’aéroport de Ndjili; à part 3 généraux :

1° le général Likulia Bolongo, Premier Ministre ;
2° le général Mahele, Ministre de la Défense et chef d’Etat-major général des FAZ
3° le général Etienne Nzimbi, le commandant de la DSP (Division Spéciale Présidentielle)

Ces 3 généraux, qui sont tous des bangala comme le Maréchal lui-même, accompagnent le président du Zaïre jusqu’à sa résidence du Mont-Ngaliema. Et là–bas, dans le salon du président, le général Mahele prend la parole pour informer le Maréchal qu’ils (les militaires) ne sont plus en mesure de garantir sa sécurité à Kinshasa. Ils lui recommandent vivement de quitter la ville. Le Maréchal, surpris par cette déclaration des généraux, suspend la réunion sans se prononcer sur leur proposition. L’AFDL est déjà à la porte de Kinshasa ; que va décider le Maréchal Mobutu ?

A suivre !

 

Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national

 

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