Nelson Mandela invite le Maréchal Mobutu en Afrique du Sud
Le 9 avril 1997, la ville de Lubumbashi tombe sous le contrôle des militaires de l’AFDL qui sont entrés au sud de la ville par Kipushi. Cette opération a été facilitée grâce à l’implication des autorités zambiennes qui ont permis le passage sur leur territoire des troupes de l’AFDL. Pour stopper cette avancée rapide de l’AFDL, certains partenaires du Zaïre pensent qu’il faut pousser les deux parties congolaises en conflit aux négociations. C’est ainsi que le 16 avril 1997, le Président Sud-africain, Nelson Mandela, signe une invitation adressée au Maréchal Mobutu dans laquelle invitation, il lui demande de venir en Afrique du Sud pour rencontrer le président de l’AFDL, Laurent-Désiré Kabila.
L’invitation est remise officiellement au conseiller spécial du Maréchal Mobutu, Honoré Ngbanda, qui se trouvait à ce moment-là en Afrique du Sud. Pour gagner du temps, le vice – président sud – africain, Thabo Mbeki, met à la disposition d’Honoré Ngbanda, son avion de commandement, un jet Falcon 50, qui ramène celui-ci à Kinshasa le 17 avril 1997.
Les confidences de Thabo Mbeki
Le 18 avril à 9h30’, Honoré Ngbanda est dans la résidence du Maréchal à Mont-Ngaliema. Il lui remet l’invitation tout en lui relatant les confidences de Thabo Mbeki. En effet, le vice–président sud–africain a expliqué à Ngbanda que nous courons maintenant derrière le temps. Parce Thabo Mbeki a constaté deux choses. Primo, depuis la chute de Lubumbashi, Laurent-Désiré Kabila devient de plus en plus arrogant et s’intéresse de moins en moins aux négociations. Secundo, certains pays qui soutiennent Kabila militairement, en particulier l’Angola, le poussent à poursuivre son avancée militaire jusqu’à Kinshasa ; sans chercher à négocier quoi que ce soit avec le régime finissant du Maréchal.
Le Maréchal Mobutu avoue qu'il est troublé par des "rapports" de ses proches
Après avoir lu l’invitation du président Mandela et écouté le rapport de son conseiller Ngbanda, le Maréchal Mobutu va réagir en disant exactement ceci :
« Spécial : Ma situation n’est pas facile. Mon jeune frère, je reçois des rapports de partout me signalant que les Américains veulent m’achever par le canal des sud-africains qui appliquent tout ce que les américains leur disent. D’autres m’ont prévenu que l’invitation que me lance Mandela est un piège pour me forcer à l’exil. D’autres disent même que tu es au courant de tout ! Mais cela, je ne le crois pas. Tu vois mon trouble ? »
Le Maréchal Mobutu accepte l'invitation de Mandela
Ngbanda réagit à son tour en expliquant au Maréchal que ces rapports qu’il reçoit de ses proches n’ont pas de fondement. Si les sud – africains souhaitent vraiment du mal au président zaïrois, ils ne vont pas se salir les mains devant le monde entier en l’invitant officiellement en Afrique du Sud pour que, une fois sur place, ils puissent l’arrêter ou le forcer à l’exil. Dans cette hypothèse, il serait plus intelligent et plus propre pour eux de regarder ailleurs tout en encouragent Kabila à prendre Kinshasa rapidement. Convaincu par cette argumentation de son conseiller spécial, de la bonne foi de Nelson Mandela, le Maréchal finalement autorise Honoré Ngbanda à informer l’opinion, à travers un point de presse, qu’il a accepté l’invitation de Nelson Mandela de rencontrer Laurent-Désiré Kabila en Afrique du Sud.
Les zaïrois sont soulagés par la décision du Maréchal
L’information est relayée par la presse nationale et internationale. Beaucoup de gens sont convaincus, à ce moment – là, que cette rencontre entre Mobutu et Kabila en Afrique du Sud va permettre à la politique et à la diplomatie de prendre le dessus sur la guerre. Le 19 avril à 11h, les représentants des églises et des confessions religieuses vont rencontrer le Maréchal Mobutu pour le féliciter et l’encourager à demeurer sur la voie des négociations politiques avec Laurent-Désiré Kabila.
Nzanga Mobutu passe à la télévision nationale
Mais, le 20 avril 1997, un coup de tonnerre éclate à la télévision nationale. Nzanga Mobutu, l’un des fils du Maréchal, déclare, en qualité de « porte – parole de la famille » que le président Mobutu n’ira pas en Afrique du Sud. La famille Mobutu souhaite que la rencontre avec Laurent-Désiré Kabila se tienne au Congo-Brazza ou au Gabon. L’opinion publique nationale et les autorités sud-africaines sont désorientées par ce revirement du président zaïrois. Honoré Ngbanda apprendra par la suite que les proches du Maréchal l’avaient assailli pendant des heures et des heures avec cette idée farfelue du « piège sud-africain » pour l’arrêter une fois sur leur territoire. Ces proches avaient rappelé au Maréchal Mobutu, pour l’effrayer, l’histoire de l’enlèvement du président du Panama, Manuel Noriega, par des militaires américains au mois de décembre 1989.
Les pourparlers entrent dans une impasse
Honoré Ngbanda se rend chez le Maréchal pour faire le point de la situation. Le président Mobutu va justifier son revirement pour des raisons médicales. Il explique à son conseiller que son médecin lui a déconseillé vivement le long trajet en avion (ce qui n’était pas exact). C’est pourquoi, il propose aux sud-africains de rencontrer Kabila au Congo-Brazza ou au Gabon.
Informé par la presse du changement de position du Maréchal Mobutu, Laurent-Désiré Kabila va réagir, lors d’un point de presse, de manière laconique : « L’Afrique du Sud ou rien ! ». Laurent Kabila ne veut pas aller au Congo-Brazza ou au Gabon à cause de la présence de militaires français qui y stationnent. En effet, il était de notoriété publique que la France continuait à soutenir le régime à l’agonie de Mobutu. Et Kabila craignait qu’en se rendant dans l’un des pays du pré carré français (Congo-Brazza ou Gabon), sa sécurité personnelle ne soit hypothéquée. Le processus des pourparlers entre alors dans une impasse.
Thabo Mbeki invite Honoré Ngbanda
Devant cette situation, le vice – président Thabo Mbeki, invite le conseiller spécial du Maréchal en Afrique du Sud pour faire le point.
Le 23 avril, Honoré Ngbanda arrive à Johannesburg vers 18h30 et il est conduit directement à la résidence du vice-président Mbeki. A 20h, ce dernier invite Ngbanda à partager un repas tout en discutant de l’impasse diplomatique. Vers 22h30, Thabo Mbeki va avoir une espèce d’illumination. Voici textuellement ce qu’il va dire à Honoré Nbganda : « Ambassadeur ! (on ne sait pas pour quelle raison, Thabo Mbeki appelait Ngbanda ambassadeur).
Thabo Mbeki trouve la solution
C’est peut-être fou ce que je vais vous dire maintenant, mais cette idée vient de jaillir dans mon esprit. Et quelque chose me dit, à l’intérieur de moi-même, que c’est la solution à notre problème. Récapitulons : Mobutu refuse de venir en Afrique du Sud « parce que c’est trop loin ». Kabila refuse d’aller au Congo (Brazza) ou au Gabon à cause des Français. Qu’est-ce que vous pensez si je leur amène un bateau de guerre sud-africain, dans les eaux internationales, en face de Pointe – Noire ? Mobutu n’aura plus à faire un voyage de plus d’une heure, et Kabila sera en territoire sud-africain ! ».
Mobutu et Kabila acceptent la rencontre sur l'Outeniqua
Contacté le soir même par son conseiller spécial, le Maréchal Mobutu donne son accord pour la rencontre avec Laurent-Désiré Kabila au bord de l’Outeniqua, le navire de guerre sud-africain, au large de Pointe – Noire. Le lendemain, Laurent-Désiré Kabila donne, à son tour, son approbation pour cette rencontre sur l’Outeniqua.
Les invitations officielles vont être lancées et la date de la rencontre historique entre le président de la République du Zaïre, le Maréchal Mobutu et le président de l’AFDL, Laurent-Désiré Kabila, est fixée au 2 mai 1997. Le rendez–vous sera-t-il respecté ?
A suivre !
Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national
