Une femme de couleur à la tête de l’Université d’Edimbourg 5 siècle après sa création

Une femme de couleur à la tête de l’Université d’Edimbourg 5 siècle après sa création

Debora Kayembe est une avocate écossaise, d'origine congolaise, spécialisée dans les droits humains, et une militante politique. Elle a été élue en février 2021 rectrice de l'université d'Édimbourg et a été officiellement installée comme 54ème Recteur le 21 juin 2023. Elle est la première femme de couleur à être portée à la tête de cette vieille et prestigieuse université anglophone. L'Université d'Édimbourg a été fondée en 1583 au cours d'une période de développement rapide de la ville d'Édimbourg.

Debora Kabembe Bonjour

Bonjour,

Après votre élection, étiez-vous chaude à occuper votre nouveau poste ?

Très chaude à occuper mon poste puisque j’étais déterminée à relever le défi. Comme vous le savez, l’institution n’avait jamais eu une personne de couleur à cette position. Je crois que beaucoup de gens négligent du fait que cette personne de couleur était éduquée en RDC et que c’est une femme de la RDC. Partout à travers le monde, l’image qu’on présente de la femme de la RDC est celle d’une femme violée et humiliée. C’est une femme qui n’a pas eu la chance d’avoir la meilleure éducation au monde. Le jour de mon élection, nous avons montré un grand défi. Donc, j’étais très chaude pour prendre cette position. Et j’étais déterminée à réussir.  

Une Congolaise qui arrive en Écosse et qui se fait connaître jusqu’à être portée à la tête de cette Institution. Comment les Écossais vous ont découvert ?

On m'a découvert en tant que activiste des droits de l'homme. Six mois plutôt, j’avais lancé une nouvelle campagne « la marche pour la liberté » qui consistait à avoir des tables rondes et des dialogues des communautés de différents coins du monde qui vivent dans la ville Édimbourg afin de promouvoir la tolérance. Cela avait bien marché parce que nous étions en pleine crise mondiale contre le racisme après l’exécution de Georges Floyd par la police américaine. Donc, cette manifestation était un grand succès et une ouverture. Mais c’était aussi une opportunité pour moi de montrer au monde tout ce que j’avais subi par rapport à l’injustice sociale et au combat pour la liberté de l’être qu’on appelle être de la peau noire. Ça m’a propulsé à ce point à Édimbourg et ça a marqué toute une ville au moment où j’avais été désignée d’abord en tant que candidate puis je suis allée dans le processus électoral. Je n’avais pas été contestée. J’étais candidate unique et j’étais déclarée recteur.

Vous attendiez vous à être élue à ce poste de recteur ?

Je savais que j’avais un grand combat entre mes mains. Mais j’avais beaucoup de volontaires. Et même certains anciens recteurs m’ont rejoint pour soutenir ma campagne. Nous étions prêts à lancer une campagne déterminée pour gagner cette élection. Mais A la grande surprise, personne n’a osé me défier.

En 2004, vous décidez de quitter la RDC pour le Royaume-Uni d’abord et ensuite pour l’Ecosse. C’était pour quelle raison ?

C’était juste après la mission d’investigation que j’avais faite à Bunia en Ituri sur le massacre qui était perpétré en ce moment-là dans cette partie de la RDC. Dès ce moment-là, il était clair que les exactions commises dans cette partie du pays étaient les résultats d'une collaboration étroite entre les belligérants et le pouvoir en place. Cela m’avait mis mal à l’aise pour ma propre sécurité.

Bien avant que vous n’occupiez le poste de recteur de l’Université Édimbourg, vous étiez membre du parti socialiste écossais de 2015 à 2021. Pourquoi avez-vous quitté la vie politique pour la société civile ?

Je n’ai pas quitté la vie politique. Je suis et encore fermement engagée dans la vie politique. Et puis, il y a une différence de mon rôle de recteur de l’Université Édimbourg. Le recteur de cette université n’est pas un Académicien. Il dirige les politiques de l’Université et les politiques de la Grande-Bretagne. C’est la voie par excellence sur la morale de la vie politique et dans le Commonwealth. Voilà pourquoi, lorsque j’ouvre ma voix et que je parle des questions brûlantes dans lesquelles il faudrait prendre des décisions et ramener la moralité, le monde entier m’écoute.

En février 2021, vous êtes élue recteur de l’Université Édimbourg. Quelles sont les actions que vous menez lorsque vous ne serez plus là et que les gens se souviennent qu’il y a eu une femme qui est passée par là.

Et cette personne s’appelle Debora Kayembe ?

La première de chose, c’était la politique que je voulais mener au sein de l’université qui consiste à la diversité et l’inclusion des individus quelles que soient leur race et leurs origines. Et la deuxième, c’était le respect de l’être humain quoi qu’il fasse et quoi qu’il est considéré. Ce sont des choses que j’ai commencé avec un programme à l’université qu’on appelle « respect ». Ce programme mettait autour de la table les étudiants et leurs enseignants d’une part et de l’autre les travailleurs et les étudiants, mais également les membres du comité de gestion de l’université et les étudiants. Nous parlions des questions très difficiles que nous avions fait face à l’université. Nous devrions apprendre à nous respecter les uns et les autres. Ça, je suis sûre que beaucoup d’étudiants se souviendront de ces moments-là parce que nous avons eu 32 semaines de discussions entre les étudiants et ceux qui dirigent l’université. Nous l’avons fait. Depuis que nous avons changé cette politique d’exclusion qui existait au sein de l’université, nous avons créé un environnement moins tendu parce qu’il y a eu beaucoup de tensions au sein de l'Université. Ces tensions ne sont plus qu’un mauvais souvenir. C’est parti. Et vous voyez comment les étudiants commencent à reconnaître les autres races et les autres communautés. Nous sommes de plus en plus difficile à recevoir des étudiants qui viennent des pays en guerre pour leur donner l’opportunité de continuer leur éducation. Nous avons l’Ukraine et l’Afghanistan. Avec ce qui se passe en Palestine, nous croyons qu’il y aura encore beaucoup plus d’étudiants qui viendront de la Palestine.

Il y a la RDC qui est aussi en guerre ?

Bien sûr que la RDC est en guerre. N’oublions pas que l’Université d’Édimbourg est un héritage du Commonwealth et pas de la Francophonie. Donc, il y a un élément que nous devrions considérer qui est une différence culturelle mais aussi une différence de méthode d’éducation qui est tout à fait différente. Donc, nous avons eu quelques étudiants de l’Est de la RD Congo qui sont venus étudier dans un programme spécifique d’une année. Il en y a eu seulement trois. C’est une avancée. Nous espérons faire mieux la prochaine fois.

Durant votre combat pour accéder à la tête de l’université, le gouvernement congolais vous a-t-il soutenu y compris le peuple congolais ?

Je fais un grand bravo au peuple congolais. Les peuples ordinaires. Surtout l’armée numérique congolaise qui est venue à mon secours pendant la crise du Rwanda pour les immigrés et les déplacés qui devraient venir de partout de Royaume-Uni pour s’installer au Rwanda. Je lance un message de gratitude et de respect à cette armée numérique congolaise qui s’était élevée comme un mur pour me protéger. Bien sûr que le gouvernement congolais est arrivé bien plus tard. Au bout tunnel. Mais l’essentiel est que nous avons gagné. C’est ce qui est plus important.  

N’aviez-vous pas eu peur du fait que le gouvernement rwandais qui est sans pitié contre ses opposants qui vivent en exil et qu’il le soit à votre égard ?

Je crois que tout le monde doit se mettre à sa place. Il ne faut pas confondre le rôle des gens. Il ne faut pas non plus confondre le rôle des gens de ce qu’ils doivent faire sur les individus. Ça, c’est le premier message. Peur, non ! Je n’ai jamais eu peur de qui que ça soit. Rien ne va se répéter. Nous nous sommes mis débout pour mettre fin à cette loi d’expulsion des immigrés qui arrivent en Grande-Bretagne pour le Rwanda. Cette loi dénigre la dignité de l’être humain. Les êtres humains ne sont pas à vendre. Le droit d’asile est un droit reconnu à tout peuple et à tout être humain sur cette terre. Vous demandez l’asile selon le droit international dans le pays de votre accueil, le premier pays où vous foulez les pieds. Lorsque ces individus parviennent à arriver au Royaume-Uni, c’est là où ils doivent demander l’asile et pas à un autre pays.

Apparemment, c’est un combat perdu d’avance puisque le Royaume-Uni est déterminé à renvoyer ces demandeurs d’asile au Rwanda ?

Au grand jamais.

Mais le processus est toujours en cours ?

Le processus peut être en cours mais il y a l’étape du processus, l’adoption au Parlement et l’exécution. Et nous ne sommes pas encore là. Ça n’arrivera pas. Croyez-moi. J’ai foi au peuple britannique, aux valeurs du peuple britannique. Nos valeurs à nous, ce que nous respectons la dignité humaine. Nous croyons à la loi et au respect de la loi. Donc, ma foi c’est au peuple britannique. A personne d’autre.

Peut-être, il existe des Congolais qui ont des ambitions d’aller étudier à l’université d’Édimbourg. Que leur diriez-vous ?

Je les encourage à le faire mais ça ne sera pas facile. Comme je l’ai dit déjà et je le répète, ce sont deux réseaux différents d’éducation. Ces deux programmes d’éducation sont tout à fait différents. La RD Congo est un pays francophone. Et vous faites face à l’une des plus anciennes universités anglophones au monde, l’Université d’Édimbourg. C’était même le choc lorsque la plus ancienne université anglophone au monde a eu un recteur francophone. Vous devrez comprendre la gravité de la situation. J’aimerais bien encourager les étudiants à essayer de venir étudier à Édimbourg puisque ça ne sera pas possible et facile parce que nous avons beaucoup de différence dans notre manière d’enseigner. Il n’y a rien à changer dans le programme d’éducation de la RDC. Il faudra ajouter un plus à notre curriculum vitae, avoir une bonne connaissance du niveau de l’Anglais, un niveau assez approprié pour entrer à l’université. Ce n’est pas tout le monde qui parle l’Anglais et qui peut venir étudier dans une institution où l’enseignement est en Anglais. Enfin, essayez de comprendre exactement quelles sont les différences que vous avez sur des sujets que vous avez appris et les sujets que vous voulez embrasser à l’Université d’Édimbourg. Ça ne sera pas facile.

 

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