De la situation électorale de la province du Nord-Kivu (Thomas Luhaka)

De la situation électorale de la province du Nord-Kivu (Thomas Luhaka)

Je viens de suivre attentivement l’interview accordée par le Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, aux journalistes de France 24 et RFI. En 17 minutes, le président a abordé et analysé plusieurs sujets relatifs à la vie de la Nation. Un sujet en particulier a suscité en moi quelques réflexions que je souhaiterais partager avec vous. Même si ma famille politique n'est pas partie prenante au processus électoral, pour des multiples raisons liées à l'absence de l'intégrité et de l'inclusivité, je me dois comme républicain d'attirer l'attention de nos dirigeants sur une situation qui pourrait nuire aux intérêts de la nation.

C’est la question des élections dans la province du Nord-Kivu, en particulier dans les territoires de Rutshuru et de Masisi.

Dans son interview, le Chef de l’Etat a affirmé que, tenant compte de la situation sécuritaire actuelle dans ces deux territoires de la province du Nord-Kivu, les élections ne pourront pas y être organisées. Si l’argument sécuritaire avancé par le président Tshisekedi est incontestable, la conséquence politique qu'il en a tiré (pas d’élection dans les deux territoires) mérite tout de même qu’on approfondisse la réflexion.

Nous pensons que la meilleure solution politique pour la province du Nord-Kivu serait de surseoir l’organisation des élections sur l’ensemble de la province, qui est d'ailleurs sous le régime exceptionnel de l'état de siège, plutôt que de le faire seulement pour les territoires de Rutshuru et Masisi. En effet, exclure ces deux territoires et organiser les élections dans les autres territoires de la province (Beni, Lubero, Walikale, Nyiragongo et la Ville de Goma) va générer d’autres problèmes dans la province.

Primo : ces élections partielles dans la province du Nord-Kivu vont engendrer un déséquilibre communautaire au sein de la prochaine Assemblée Provinciale où il n’y aura aucun député provincial originaire du Rutshuru et du Masisi. Ceci aura un impact direct sur le choix et la légitimité du prochain gouverneur de province et des sénateurs. Alors que nous savons tous à quel point la province du Nord-Kivu est très sensible à ces équilibres communautaires.

Secundo : il est de notoriété publique aussi que les revendications territoriales de certains politiciens de Kigali portent justement, entre autres, sur deux territoires congolais en particulier : Rutshuru et Masisi. Même si nous leur avons déjà suffisamment démontré que ces revendications n’ont aucun fondement historique ou juridique, certains de ces leaders rwandais s'accrochent à ce rêve du grand Rwanda qui intégrerait une partie du territoire congolais.

N’empêche qu'écarter seulement ces deux territoires du processus électoral sans chercher à créer une sorte de solidarité « provinciale » (en décidant de surseoir les élections sur l’ensemble de l’espace du Nord-Kivu tant que Rutshuru et Masisi seront occupés) peut être interprété comme une acceptation tacite de la part des autorités congolaises du processus de balkanisation de notre pays.

Tertio : la décision d’exclure seulement ces deux territoires qui ont une forte concentration des populations congolaises de culture rwandophone, c’est-à-dire, qui parle le Kinyarwanda (Hutu et Tutsi) et des nombreuses autres tribus (hunde, tembo, nande, twa...) de cet espace peut susciter dans l'esprit de ces compatriotes un sentiment d’abandon de la part de la mère-patrie qu’est la RDC.

En conclusion, pour éviter de 1° créer un déséquilibre communautaire au sein de la prochaine assemblée provinciale du Nord-Kivu, 2° légitimer, de manière involontaire, les revendications territoriales de Kigali et 3° susciter un sentiment d’abandon chez nos compatriotes des territoires de Rutshuru et Masisi, il serait judicieux politiquement de surseoir les prochaines élections sur l’ensemble du territoire de la province du Nord-Kivu.

Et les élus nationaux et provinciaux de 2018 de cette province pourront continuer à siéger dans les institutions en attendant l’organisation des élections, le moment venu, dans le Nord-Kivu.

 

Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national

 

La Gazette logo

Newsletter

Inscrivez-vous pour ne rien rater