Page d’histoire politico-culturelle : l'ambitieux Jean Goubald dans ses oeuvres

Page d’histoire politico-culturelle : l'ambitieux Jean Goubald dans ses oeuvres

I. Le contexte politique de la naissance de l’artiste musicien Jean Kalala Midibu dit Jean Goubald

Patrice Lumumba, le premier ministre, forme un gouvernement d’union nationale.

L’artiste musicien congolais Jean Goubald, de son vrai nom Jean Kalala, est né dans un contexte politique très agité. En effet, nous sommes en 1960. Patrice Emery Lumumba, qui dispose d’une coalition majoritaire au Parlement doit former son gouvernement. Son parti politique, le MNC-L (Mouvement National Congolais-Lumumba) est allié du PSA (Parti Solidaire Africain) d’Antoine Gizenga, du CEREA (Centre de Regroupement Africain) d’Anicet Kashamura, de la BALUBAKAT (les baluba du Katanga) de Jason Sendwe, entre autres.

Le gouvernement d'union nationale de Patrice Lumumba


Patrice Emery Lumumba

Mais Patrice Lumumba, qui a un sens politique très développé, considère que cette période historique de l’indépendance doit être vécue dans la cohésion nationale. Il va alors former un gouvernement d’union nationale qui va au-delà de sa majorité parlementaire. C’est ainsi, par exemple, qu’il donne le ministère des Finances à Pascal Nkayi qui est de l’ABAKO, le ministère des Affaires Economiques à Joseph Yav qui est de la CONAKAT de Moïse Tshombe.

Patrice Lumumba propose le ministère de l’agriculture à Albert Kalonji


Albert Kalonji

C’est dans cette même dynamique qu’il va proposer le ministère de l’Agriculture à son ancien camarade, devenu son rival politique, Albert Kalonji, président du MNC-K (Mouvement National Congolais - Kalonji). Des proches d’Albert Kalonji vont dissuader ce dernier d’accepter ce ministère en lui expliquant que cette proposition de Patrice Lumumba est un manque de considération à son égard. Parce que, d’après ces « conseillers », pendant que les autres ministres seront assis confortablement dans leurs bureaux, lui Albert Kalonji, comme ministre de l'Agriculture, ira faire les champs pour eux. Albert Kalonji va, par conséquent, décliner l’offre de Lumumba.

Albert Kalonji proclame la sécession du sud-Kasaï

Mécontent de sa situation personnelle et des difficultés liées à la gestion des centaines des milliers des déplacés Luba chassés de Luluabourg (actuelle Kananga) et du Katanga, Albert Kalonji, proclame le 08 août 1960, la sécession de sa région par la création de l’Etat Autonome du Sud-Kasaï. Bakwanga, actuelle ville de Mbuji-Mayi, est la capitale de ce nouvel Etat. Albert Kalonji en est le chef de l’Etat et Joseph Kalonji est son premier ministre. Cet Etat se dote d’une armée dénommée la gendarmerie Kasaïenne ; à l’instar de la gendarmerie katangaise, une autre armée sécessionniste.

La famille Oscar Mutambayi fuit le Katanga

Parmi les proches du Chef de l’Etat du Kasaï, qui deviendra par la suite Kalonji le " Mulopwe », l’empereur, on trouve un ancien séminariste du nom d’Oscar Mutambayi et son épouse Jeanne Mbombo. Ce couple, qui vivait sans problème au Katanga, avec leurs trois enfants, ont vu leurs vies basculer lors de la proclamation de la sécession Katangaise par le gouverneur du Katanga, Moïse Tshombe, le 11 juillet 1960. Les extrémistes Katangais vont alors lancer la chasse aux « étrangers », c'est-à-dire aux non-originaires; en particulier, les ressortissants du Kasaï. C’est ainsi que Oscar Mutambayi et sa petite famille quittent le Katanga et s'installe à Bakwanga.

Naissance dans l'Etat sécessionniste du Sud-Kasai de Jean Kalala


Jean Kalala Midibu dit Jean Goubald

Le 22 mai 1961, Jeanne Mbombo va accoucher à Bakwanga d’un garçon qu’ils vont appeler Jean Kalala. Le prénom Jean lui est donné par ces parents, fervents catholiques, probablement pour rendre hommage au plus jeune des disciples du Christ, celui que le Messie aimait le plus, l’apôtre Jean (Jean 13 :23–25 ; Jean 19 : 26–27 ).

Et le nom Kalala est le titre du Commandant en Chef de l’armée, le général, dans l’ancien Empire Luba. Avec ce nom prémonitoire de Kalala, le général, on comprend mieux pourquoi l’artiste–musicien Jean Goubald aime se lancer des grands défis personnels (voir plus bas).

Albert Kalonji victime d’un coup d’Etat et fin de la sécession Kasaïenne.

En septembre 1962, quelques hauts–cadres Lubas (Joseph Ngalula, général Tshinyama. . . ), avec les encouragements de Kinshasa, décident de mettre un terme à l’aventure de la sécession Kasaïenne et de réintégrer le Congo. Par conséquent, Albert Kalonji, le mulopwe, est déposé à la suite d’un coup d’Etat. On lui laisse un couloir pour s'enfuir vers le Katanga. Et de là, il partira en exil en Espagne.

Et Kinshasa envoi un nouveau gouverneur à Bakwanga, Joseph Ngalula, qui s’installe à la tête de la nouvelle province du Kasaï Oriental ; et deux bataillons de l’ANC (Armée Nationale Congolaise) arrivent sur place pour absorber les éléments de la défunte gendarmerie Kasaïenne. Ainsi s’achève l’histoire de la sécession et de l’Etat autonome du Sud-Kasaï.

Le couple Oscar Mutambayi et Jeanne Mbombo et leurs quatre enfants s’installent à Kinshasa.

Les parents de Jean Kalala, dit Jean Goubald, décide alors de venir s’installer à Kinshasa. Le papa, Oscar Mutambayi, deviendra fonctionnaire dans l’Administration Publique, en tournant définitivement la page politique de sa vie. Passionné de musique, il deviendra aussi chef des chorales latines dans différentes paroisses catholiques de la capitale. Et la maman, Jeanne Mbombo (Maman Jeanne, qui donne ma Zuani en lingala) sera catéchiste (maman malongi) durant des nombreuses années, toujours au service de l’église catholique, comme son mari.

Des années plus tard, le jeune Jean Kalala, qui rêvait d'abord de devenir pilote d'avion, après avoir commencé des études supérieures en pharmacie à l’Université de Kinshasa, décide de faire de la musique sa profession; sous le pseudonyme de " Jean Goubald ". Il s’inscrit à l’INA (Institut National des Arts) de Kinshasa comme auditeur libre pour acquérir et approfondir ses connaissances en musique. Jean Goubald est donc un musicien au vrai sens du terme. C'est-à-dire qu’il sait lire une partition musicale.

Aujourd’hui, en attendant une notice biographique plus détaillée, nous allons voir comment Jean Goubald, avec son bagage intellectuel et musical, va se lancer trois défis personnels liés à l'histoire de la musique congolaise moderne.

II. Les défis musicaux personnels de Jean Goubald

1° Concilier les deux courants de la musique congolaise

African Jazz contre OK Jazz


François Luambo avec OK Jazz

Depuis ses origines (1940-1950), la musique congolaise a toujours été traversée par deux courants de style bien distincts. Par exemple, dans les années 1950-1960, nous avons l’école de Joseph Kabasele dit Grand Kallé et son African Jazz, qui font un genre de musique très apprécié par les « évolués » les intellectuels, l’élite de la société. Alors que François Luambo, dit Franco, et l’OK Jazz font de la musique qui est, par les thèmes abordés et le style, très appréciée par le peuple, c'est-à-dire par les gens du commun.

Zaiko Langa-langa contre Viva la musica ; Afrisa Internationale contre TP OK Jazz


Rochereau Tabu Ley avec Afrisa Internationale 

Dans les années 1980, cette opposition de style réapparait à travers Zaïko Langa-Langa et Viva La Musica chez les jeunes. Dans ce duel, Zaïko Langa Langa apparait comme l’orchestre des enfants des classes supérieures (bana Macampagne, Pigeon, UPN…), et Viva La Musica pour les enfants de la cité (appellation des quartiers populaires à Kin ; Bana Molokaï, ). Alors que chez les « vieux », l’opposition des styles continuent entre Tabu Ley et l’Afrisa, d’un côté, qui prennent la place de Grand Kallé et son African Jazz, et de l’autre côté, l’inusable Franco et son TP Ok Jazz.

Un enfant de la cité qui étudie avec les enfants des grands bourgeois

Habitant de la commune de Lemba, à la frontière de la commune de Ngaba, mais scolarisé au Collège Albert 1er (Collège Boboto) dans la commune de la Gombe, Jean Goubald tente, par sa musique, de concilier ces deux courants de styles. Son ambition donc est d’être la synthèse de ces différents styles de la musique congolaise. C'est-à-dire être l’auteur d’une musique qui ferait plaisir tout en interpellant, en éduquant à la fois la population et les intellectuels.

Notons, en passant qu’il y a un autre artiste-musicien congolais de talent qui se démène, avec un grand succès à l’étranger, en faisant une musique très élaborée avec des thématiques qui poussent à la réflexion, donc une musique pour l’élite. C’est Lokwa Kanza.

2° Varier et enrichir les thématiques de la musique congolaise

Nous avons déjà vu, dans la chronique sur la chanson « Education » de JB Mpiana, comment et pourquoi le thème de l’amour est viscéralement collé à la rumba congolaise. Jean Goubald considère que, rester sur ce thème unique de l’amour, c’est réduire le champ des possibles de la rumba congolaise. Comme tout véhicule musical (le reggae, le rock-n-Roll, le Jazz, le Zouk, le Rap. . . ), la rumba congolaise peut transporter d’autres thèmes de la vie sociale. Varier les thématiques des chansons est donc le deuxième défi de Jean Goubald.
Il nous a donné plusieurs exemples tels que les chansons: Bayibi nga bomwana, Africano, Longembu. . .

3° Varier les tempos et les cheminements d’accords de la musique congolaise

Passionné de la musique, au sens théorique du terme (il a plus d’une centaine des livres qui traitent de la musique dans sa bibliothèque) et au sens pratique (auteur–compositeur, chanteur–guitariste de talent), Jean Goubald considère que la musique congolaise est prisonnière d’un tempo à deux temps seulement ; qui, dans les oreilles de certains étrangers, peut apparaître, à la longue, comme monotone. Alors que le réservoir de nos musiques traditionnelles est tellement vaste que nous pouvons nous lancer dans des variations des structures harmoniques qui rendront notre musique plus riche et plus attrayante pour un plus large public. C’est le troisième défi de Jean Goubald.

Au-delà de ses défis, nous décortirons ,dans la prochaine page consacrée à cet artiste, la poésie chrétienne et les canons de beauté (ou critères de beauté) féminines magnifiquement rendus dans l'une des meilleures chansons d'amour de la rumba congolaise. C'est la chanson " Quelle beauté ! "

Aimons-nous vivants !

 

Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national

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