Devenu premier ministre en décembre 2006 à l’âge de 81 ans, Antoine Gizenga est le plus vieux chef de gouvernement de l’histoire politique de la RDC. Mais c'était aussi l’un des politiciens congolais le plus connu d’Afrique, des années 1960-1970.
Vice-Premier ministre dans le gouvernement de Patrice-Emery Lumumba en 1960, Antoine Gizenga apparaîtra, après l'assassinat du héros national congolais, comme son digne successeur et héritier politique. De Kisangani où il s'était installé depuis octobre 1960, Antoine Gizenga va reconstituer le gouvernement Lumumba qui sera reconnu par 25 pays au monde.
Après le coup d’Etat de novembre 1965 du général Joseph-Désiré Mobutu, commandant en chef de l’Armée Nationale Congolaise (ANC) contre le président Joseph Kasa–Vubu, Antoine Gizenga quitte clandestinement Kinshasa le 19 février 1966 et part en exil. Il y restera pendant 26 ans. Il bénéficiera de l’asile politique dans plusieurs pays dont l’URSS, la Guinée, le Mali et l’Angola. allons, dans cette série d’articles, survoler successivement les relations qu’Antoine Gizenga a entretenues avec les présidents de ces trois pays africains en particulier. Il s’agit d’Ahmed Sekou Touré, de Madibo Keita et d’Agostino Neto.
Antoine Gizenga est à Moscou lors de la Table-Ronde de Bruxelles.
Antoine Gizenga, le président général du parti politique PSA (Parti solidaire Africain) comptant en son sein Pierre Mulele, Sylvain Kama, Cléophas Kamitatu, Bernardin Mungul–Diaka, se trouve, depuis le 15 janvier 1960, à Moscou lors du déroulement de la Conférence de la Table–Ronde de Bruxelles. Tenue du 20 janvier au 20 février 1960 dans la capitale belge, cette conférence doit décider de l’avenir politique du Congo-Belge. De Moscou, où il va rester durant les assises de Bruxelles, Antoine Gizenga fait la déclaration suivante : « La Belgique doit se persuader que l’indépendance du Congo est une chose que nous obtiendrons tôt ou tard de la manière que préféreront les Belges, c'est-à-dire, s’ils veulent que cela s’obtienne par la paix, il en sera ainsi, mais s’ils choisissent la force des armes, il en sera également ainsi pour nous. »
Antoine Gizenga obtient un passeport guinéen
Pour les gizengistes, cette déclaration aurait contribué à pousser les Belges à précipiter l’indépendance du Congo, parce qu’ils étaient convaincus qu’Antoine Gizenga était à Moscou pour demander des armes à l’URSS en vue de se lancer dans une guerre de libération. Quoi qu’il en soit, Gizenga veut rentrer au Congo, mais son passeport belge (à l’époque coloniale, les congolais voyageaient avec un passeport belge) a expiré. Il ne peut donc pas le renouveler parce qu’il est en froid avec les autorités belges à cause de sa déclaration. A la suite de l’intervention des autorités Russes, Antoine Gizenga obtient un passeport guinéen. Il quitte alors Moscou le 3 février 1960 à destination de Paris où il va passer quelques jours avant de prendre son vol pour Conakry. Dans la capitale de la Guinée, Antoine Gizenga rencontre les trois émissaires du Cartel ABAKO-PSA qu’il avait envoyés en mission auprès des autorités guinéennes. Il s’agit de Pierre Mulele (Secrétaire général du PSA) Raphaël Kinkie (Cadre du PSA) et Antoine Kingotolo (Secrétaire général de l’ABAKO).
Antoine Gizenga et Sekou Touré font connaissance
Antoine Gizenga charge alors Pierre Mulele de lui prendre un rendez–vous avec le président guinéen Ahmed Sekou Touré.
Deux jours après, Antoine Gizenga et ses camarades sont accueillis à la Présidence guinéenne par Diallo Telli, un proche collaborateur du président de la République. Diallo Telli, qui deviendra plus tard le premier secrétaire général de l’OUA (Organisation de l'unité Africaine), conduit les hôtes dans le salon du président Sekou Touré. C’est la première rencontre entre Antoine Gizenga et Sekou Touré. On est au mois de février 1960. Sekou Touré va lui prodiguer des conseils sur l’impérieuse nécessité de rassembler, au Congo, toutes les forces progressistes en vue de former un bloc capable de gagner les élections à venir et former un gouvernement progressiste. Il faut noter aussi que c’est pendant ce séjour à Conakry qu’Antoine Gizenga fait la connaissance d’une dame d’origine franco-centrafricaine du nom d’Andrée Blouin, qui viendra quelques mois après (mai 1960) aider le PSA dans sa campagne électorale dans le Bandundu.
En juin 1960, Antoine Gizenga est le président du troisième parti politique du Congo avec ses treize députés nationaux sur les cent trente-sept de l’assemblée nationale. Patrice Emery Lumumba, le premier ministre, va le nommer vice-premier ministre.
Antoine Gizenga prisonnier à Bula-Mbemba : la visite de Diallo Telli, émissaire de Sekou Touré
Après des multiples péripéties politiques, Antoine Gizenga est emprisonné en 1962 sur l’île de Bula-Mbemba à 18 Km de Muanda. Il y a été transféré le 3 février par le gouvernement Cyrille Adoula. Un jour de l'année 1963, Antoine Gizenga reçoit la visite de Diallo Telli, émissaire du président Sekou Touré. Contrairement à leur habitude, les surveillants de la prison vont sortir de la pièce et laisser Antoine Gizenga en tête–à–tête avec Diallo Telli. Ce dernier a amené un appareil photo « Polaroïd », un magnétophone et un paquet des livres.
L'offre de Sekou Toure à Antoine Gizenga
Le message de Sekou Touré adressé à Antoine Gizenga était, en substance, le suivant : « J’ai parlé longuement de ton cas, qui me préoccupe tant, avec le premier ministre Cyrille Adoula (premier ministre du Congo) pour ta libération. Le gouvernement congolais accepterait de te libérer à condition que, de ton côté, tu acceptes de venir t’installer en Guinée. » Après avoir attentivement écouté Diallo Telli, Gizenga va réagir en remerciant le président Sekou Touré et Diallo Telli pour leur implication dans son dossier. Ensuite il va décliner la proposition d’obtenir sa libération moyennant son départ en exil. Il explique à Diallo Telli que Cyrille Adoula doit d’abord le libérer. Une fois rentré chez lui à Kinshasa (Léopoldville à l’époque), en homme libre, il pourrait alors accepter l’offre d’hospitalité du président Sekou Touré et partir s’installer en Guinée. Diallo Telli, qui a enregistré toute la conversation, dit à Antoine Gizenga qu’il a bien compris son raisonnement. Avant de le quitter, Diallo Telli va remettre à Antoine Gizenga les livres que le président Sekou Touré lui avait envoyés.
La seconde intervention de Sekou Toure
Ainsi donc Antoine Gizenga restera en prison durant tout le mandat de Cyrille Adoula à la tête du gouvernement congolais. Malgré une seconde intervention du président Sekou Touré, le 15 juin 1964 auprès de monsieur Albert Bolela, le chargé d’affaires congolais à Bonn, pour plaider en faveur de la libération d’Antoine Gizenga. Ce dernier sera, en fin de compte, libéré le 14 juillet 1964 par le nouveau premier ministre Moïse Tshombe.
Le coup d’Etat du général Mobutu et la libération d’Antoine Gizenga
Le 24 novembre 1965, le général Joseph-Désiré Mobutu, commandant en chef de l’ANC (Armée Nationale Congolaise) prend le pouvoir par un coup d’Etat en déposant le président Joseph Kasa-Vubu. Le lendemain du coup d’Etat, c'est-à-dire le 25 novembre, le nouveau président de la République ordonne la libération d’Antoine Gizenga, qui avait été mis en résidence surveillée à Kinshasa depuis le 1er octobre 1964 par le premier ministre Moïse Tshombe. Celui–là même qui l’avait fait libérer de Bula – Mbemba le 14 juillet 1964. Après sa libération par le général Joseph-Désiré Mobutu, celui–ci propose à Antoine Gizenga de devenir son ambassadeur itinérant en vue d’aller plaider la cause du nouveau régime auprès des chefs d’Etat africains progressistes ; tels que Sekou Touré, Modibo Keita, Nasser … Antoine Gizenga décline poliment l’offre de Mobutu.
Le départ en exil
A la suite de ce refus de collaborer avec le nouvel homme fort du Congo, les tracasseries et intimidations commencent. Par exemple, le 18 février 1966 vers 23h, la résidence d’Antoine Gizenga est envahie par des inconnus dans le but de l’assassiner. On apprendra le lendemain que c’étaient les membres d’une nouvelle milice pro-mobutu dénommée Corps de Volontaires de la République (CVR). Gizenga aura la vie sauve grâce à l’intervention rapide du premier ministre, le général Mulamba qui enverra une patrouille militaire sur le lieu. Se sentant désormais en insécurité, Antoine Gizenga décide de quitter clandestinement Kinshasa et de partir en exil. Il le fait en traversant dans la nuit du 19 au 20 février 1966, le fleuve Congo par pirogue. De Brazzaville où il restera une semaine, il part s’installer à Moscou où les autorités soviétiques lui accordent l’asile politique que le président Alphonse Massamba-Débat du Congo voisin lui a refusé, probablement intimidé par le général Mobutu.
Retour à Conakry d’Antoine Gizenga et la rupture avec Sekou Touré
Au mois de juillet 1966, Gizenga quitte Moscou pour une longue tournée africaine qui l’amène en avril 1967 à Conakry chez son camarade progressiste Sekou Touré, qui l’accueille convenablement. Mais les relations entre les deux personnalités vont se refroidir assez rapidement pour deux raisons. Premièrement, Gizenga, avant de venir à Conakry, était au Caire où ses partenaires chinois l’ont informé que Pékin avait mis à sa disposition la somme de 400.000 livres sterling qu’il devait récupérer auprès du président guinéen Sekou Touré. Arrivé sur place, Antoine Gizenga n’a pas vu la couleur de cet argent; argent qui devait servir la cause révolutionnaire congolaise.
Sekou Touré se réconcilie avec le général Joseph-Désiré Mobutu
Deuxièmement, le président Sekou Touré va informer Antoine Gizenga qu’il a levé l’option de soutenir désormais le président Mobutu. Parce que ce dernier venait de prendre une décision courageuse applaudie par les panafricanistes. En effet, le général Mobutu venait de nationaliser l’UMHK (Union Minière du Haut-Katanga) la plus grande société minière du Congo, qui deviendra par la suite la Gécamines. Pour Sekou Touré, il fallait encourager ce genre d’initiatives de décolonisation économique de l’Afrique. D’autant plus que le 30 juin 1966, le nouveau président congolais Joseph-Désiré Mobutu avait élevé l'ancien camarade panafricaniste de Sekou Toure, Patrice-Emery Lumumba, au rang de héros national.
La rupture
En conclusion, la présence en Guinée d’Antoine Gizenga, opposant politique de Mobutu, devient problématique. Et Antoine Gizenga va s’en rendre compte assez rapidement. Son épouse, qui revenait d’une mission politique de Brazzaville, va se voir retirer son passeport guinéen à l’aéroport de Conakry. Pour Antoine Gizenga le message est clair : C’est la rupture avec le président guinéen Ahmed Sekou Touré. Par conséquent, Antoine Gizenga va quitter rapidement la Guinée pour le Mali où le président Modibo Keita a accepté de lui accorder l’asile politique. Ainsi s’achève la relation personnelle, politique et idéologique qui liait les deux personnalités panafricanistes qu'étaient Antoine Gizenga et Ahmed Sékou Touré.
Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national