Le système matrimonial Ké-twil ou le mariage objectivement indissoluble Bayansi

Le système matrimonial Ké-twil ou le mariage objectivement indissoluble Bayansi

Je publie cette chronique en lien avec la décision N° Just&G.S/CNCCS/CAB.PRES/BMM/DKS/009… 2023 de la commission nationale de censure des chansons et spectacles portant interdiction de la diffusion à l’intention du public de la chanson – Esimbi te – et de la présentation au public du clip de la chanson – Esimbi te – de l’artiste musicien Moise Mbiye.

Selon le Journal Times_CD du 02/08/2023, « cette décision datant du 22 mars 2023, est intervenue suite à une plainte portée par un élu du Kwilu devant l’Office de M. Bernardin Mayindombe, avocat général près le Conseil d’État et président de la Commission de censure, notamment à cause de cette allusion faite au mariage kitshul ou kitwidi en Lingala. Forme de mariage endogamique chez les Yansi du Kwilu, comme il en existe dans plusieurs cultures dont celles juives, selon lesquelles le mariage se fait avec un clan prédéterminé qui n'est pas le sien. Contrairement aux rumeurs répandues, il ne s’agit pas d’un mariage entre membres de la même famille ni un mariage incestueux ».

En effet, dans cette chanson « Esimbi te » où il est question de la sorcellerie, dénommée « Kindoki ya butu », l’auteur s’en prend au Ké-twil en insinuant que « Mokolo ya libala na yo, abatami na coin, yeba te Kethul esimbi te –le jour de ton mariage, il s’isole dans un coin, dis-toi que Kétwil (kindoki) n’a pas eu d’effet ». Ainsi donc Ké-twil est simplement assimilé à la sorcellerie. Or celle-ci est présentée par les Kimbanguistes à la suite des Missionnaires comme étant le péché originel, le péché mortel, l’origine de la malédiction des Noirs, la cause même de la situation désastreuse que connait l’Afrique (Mokoko Gampiok Aurélien, p. 272). On voit donc la gravité de cette accusation d’autant que le système Ké-twil est la charnière, la colonne vertébrale de tout l’édifice Bayansi, de leur système socio-politique, de leur tradition matrilinéaire. S’il est ainsi cause de la perdition, les Bayansi doivent logiquement l’abandonner, ils doivent renoncer à être Bayansi et devenir des adeptes du salut proposé par le pasteur-chanteur Mbiye. C’est lui qui doit être reconnu par tous les tous les Bayansi comme étant leur « Ancêtre véritable ». Ce qui est un non-sens, mais qui prouve que cette accusation est lourde de conséquences et qu’elle doit être prise très au sérieux.

Et de fait, la gravité de cette critique contre leur ancestralité millénaire a été bien perçue par les Bayansi en général. Ce qui justifie la plainte du député Garry Sakata Tawab et la décision de la commission de censure. Au-delà de cette décision, il importe que les lecteurs et le public congolais en général, mais aussi les pasteurs-musiciens et les autres musiciens, comprennent non seulement ce qu’est Ké-twil, mais surtout ses effets bénéfiques pour la société Bayansi qui a survécu grâce à lui, et ce depuis des millénaires.


Garry Sakata Tawab 

Le mot Ké-twil est un mot typiquement Bayansi. Il provient du verbe « Two » qui signifie construire, créer, tisser, agencer, mettre ensemble des éléments divers pour en donner forme, pour créer une harmonie. Le maître créateur ou constructeur parfait étant l’araignée que les Bayansi appellent « Nkier-a-Nkwey » (Kibwenge Esu-Bwana Luxène et Kikasa Lukala Ferdinand, p. 209). C’est de ce verbe que dérivent les mots Ba-two (les construits appelés frères en français) et Bo-two (la construction, fraternité en français). Cela veut dire que chez les Bayansi être frères ou encore la fraternité ne sont pas des données en soi, mais bien les fruits de la construction, du travail des mains. Il faut fournir des efforts pour construire la fraternité véritable, celle qui aboutit au clan (Ndwo qui veut aussi dire mangrove, lieu de prolifération des poissons ou encore aiguille). Cela est tellement vrai que selon la tradition Bayansi il n’y a pas de hiérarchisation dans la fraternité. Les frères de la même mère ne sont pas plus importants que ceux des autres mères claniques. Au sein d’un même « Ndwo – clan », tout le monde est mu/o-two de la même manière, sans discrimination. Le vocable « Ya-nsi » lui-même et qui désigne le peuple qui le porte fait allusion à la technique de la construction dont la clé est le nœud qui dépend du retour d’en bas du fil ou de la ficelle. Ce qui retourne d’en bas est l’élément essentiel de la construction ancestrale. 

Ké-twil (littéralement la petite construction) procède de la même signification. Il fait appel à l’art de construire ou l’architecture. Car le mariage dans la tradition Bayansi est un art. Il a été intelligement pensé et conçu. Le système Ké-twil des Bayansi est un système matrimonial savant. Il paraît compliquer pour les étrangers, mais très simple pour les Bayansi eux-mêmes. En effet « On parle de Ké-twil lorsque dans une union matrimoniale, l’oncle (maternel) du garçon est en même temps grand-père maternel de la fille » (De Beaucorps René, p. 46). Il importe de savoir que l’oncle et le grand-père dans la conception Bayansi ne sont pas des personnes spécifiques, uniques, mais des concepts qui se rapportent à bien de personnes du même clan. Les oncles forment un corps, celui de tous les frères des mères claniques et les grands-pères mêmement forment un corps, celui de tous les hommes du clan du papa de sa mère ou de son père. Cela veut que c’est cette personne (oncle/grand-père) à qui ils sont tous les deux liés qui institue leur liaison. C’est lui qui en répond et qui en est le garant. C’est ce que les Bayansi appellent Ké-twil du droit maternel. Car il y a aussi Ké-twil du droit paternel. Celui-ci intervient lorsqu’un père attribue à un de ses fils une fille de son propre clan pour épouse. Les Bayansi désignent ce mariage sous le nom de Ké-twin’e kétar (la construction par le père).

Le père ici est aussi un concept, il est également un corps constitué de tous les mâles du clan du père biologique. Dans ce cas la tradition Bayansi parle de rendre le sang. C’est-à-dire que le garçon qui épouse une fille du clan de son propre père, rend à ce clan le sang que son père a apporté à son clan à lui qui est le clan de sa mère. Car suivant le système socio-politique Bayansi qui est un système matrilinéaire, les enfants qui naissent de toute union avec une femme Bayansi sont de droit du clan de celle-ci (seule la femme Bayansi donne aux enfants leur identité Bayansi, jamais le père). C’est de lui qu’ils héritent et c’est lui aussi qui hérite d’eux. Le père est exclu. Il ne peut pas hériter d’eux ni eux hériter de lui. Pour réparer cette injustice, il est permis au père d’attribuer une fille de son clan comme épouse à un de ses fils. Ainsi ce fils rend le sang du père (ofur aluwu) en donnant des enfants au clan de celui-ci et l’équilibre est ainsi rétabli (Matadi Lëfang w’Inkie Éduard, p. 135). 

Ainsi donc contrairement aux idées reçues, provenant d’une information erronée, Ké-twil n’est pas le mariage entre cousins d’un même clan car ce genre d’union ou l’endogamie clanique est absolument interdite. C’est pour cela que dans la tradition Bayansi, avant de se marier, on procède d’abord à une vérification rigoureuse des liens de consanguinité (Taa Bébor) et on doit remonter le plus loin que possible. Le moindre rapprochement sanguin annule immédiatement le mariage et aucun recours n’est possible.

Comme on peut le voir Ké-twil n’est nullement de la sorcellerie, mais bien une construction savante grâce à laquelle la société Bayansi est reconnue parmi les plus harmonieuses de notre pays. Car le mariage Ké-twil des Bayansi, mariage préférentiel de droit maternel ou paternel, est objectivement indissoluble. Une des caractéristiques de ce système est que les divorces sont rares, voire difficiles. En effet, disent les Bayansi « On ne se bat pas contre son père ; on ne peut pas oublier son grand-père ; on ne peut pas tuer son propre sang ; c’est son père ; c’est son grand-père ; c’est sa grand-mère ; on doit respecter son père, etc. ». Le mariage préférentiel, Ké-twil, Bayansi plonge ses racines, sa stabilité reconnue, dans la vision profonde de la communauté de vie en l’ancêtre commun primordial. C’est une réalité africaine que les Bayansi ont exprimé de leur façon suivant leur expérience propre.

C’est pour cela que j’invite les pasteurs, les musiciens, les artistes, tous ceux qui ont de l’influence dans la société kinoise, de plus en plus cruelle, d’approfondir leurs connaissances de notre héritage ancestral, celui grâce auquel nous sommes encore en vie. Il est sublime et mérite d’être revalorisé plutôt que vilipendé. Cela d’autant que le rythme des chansons, les danses exécutés et les langues utilisées proviennent de notre culture ancestrale. Le christianisme dont certains se font les hérauts ne nous a rien apporté de ce point de vue. Au contraire, il reçoit tout de notre ancestralité bien heureuse. Mais la gestion actuelle de la société qu’il impose pourtant contre notre ancestralité plonge notre pays dans le chaos généralisé. Il est impératif de revenir au bon sens loin de l’attrait de l’argent facile et des avantages personnels.

 

Professeur Kentey Pini-Pini Nsasay
Université de Bandundu (Uniband)

 

Notices bibliographiques

  • https://times.cd/index.php/2023/08/02/urgent-la-chanson-gospel-esimbi-te-de-moise-mbiye-interdite-de-diffusion/
  • https://www.youtube.com/watch?v=NIbKNzcjkGA (chanson Esimbi te)
  • De Beaucorps, R. (1933). Les Bayansi du Bas-Kwilu. Louvain: Aucham.
  • Kibwenge Esu-Bwana , L., & Kikasa Lukala, F. (2015). Le Nkier (Nkirt) : syndrome morbide et rituel de guérison chez les Yansi. Dans R. Ngub'Usim, Unité et fondamentaux socioculturels du peuple Yansi, Tome 1, (pp. 207-220). Kinshasa: U-Psycom.
  • Matadi Lëfang W’inkie, E. (2015). Fiançailles et stabilité matrimoniale Yansi. Dans R. Ngub'Usim, Unité et fondamentaux socioculturels du peuple Yansi, Tome 1, (pp. 131-142). Kinshasa: U-Psycom.
  • Mokoko Ngampiot A. (2004). Kimbanguisme et identité noire. Paris: L'Harmattan.

 

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