Le président sortant a obtenu 58,95 % des voix, selon la commission électorale, au terme d’un scrutin tendu. L’opposition ne reconnaît pas les résultats et demande l’annulation de l’élection présidentielle.
Un premier tour dia vita : un premier tour et « c’est fini ». Comme il l’avait annoncé, le président sortant, Andry Rajoelina, 49 ans, a remporté l’élection présidentielle organisée jeudi 16 novembre avec 58,95 % des suffrages, selon les chiffres provisoires publiés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), samedi 25 novembre. Ceux-ci devront être confirmés d’ici à neuf jours par la Haute Cour constitutionnelle (HCC) pour devenir définitifs. Le président sortant est le seul candidat à s’être présenté à la CENI, samedi, assis à côté de chaises inoccupées pour écouter la proclamation des résultats.
La majorité de l’opposition avait annoncé dès vendredi soir qu’elle ne reconnaîtrait pas ces résultats, en dénonçant un « simulacre d’élection organisée de force ». Elle avait appelé au boycott de l’élection après avoir en vain réclamé un report.
Les deux seuls candidats à avoir fait campagne – sur les 12 initialement en lice contre M. Rajoelina – obtiennent 14,4 % des suffrages pour l’ex-judoka Siteny Randrianasoloniaiko, et 0,8 % pour Sendrison Daniela Raderanirina. Son plus sérieux adversaire, l’ancien chef de l’Etat Marc Ravalomanana, est, en dépit de son appel au boycott, crédité de 12,10 % de voix par la commission électorale, à l’issue du dépouillement des 5,1 millions de bulletins de vote – il s’agissait de bulletins uniques sur lesquels les noms de tous les candidats étaient inscrits.
Enjeu central de cette consultation, le taux de participation de 46,36 % – proche des 48 % de la présidentielle de 2018 – apparaît élevé alors que de nombreux observateurs avaient noté la faible affluence lors de la journée du 16 novembre.
300 000 ariarys contre un bulletin de vote
Andry Rajoelina a déployé d’importants moyens pour convaincre les Malgaches de lui accorder un deuxième mandat. De grands meetings ont été organisés et de l’argent a été distribué aux électeurs en échange de leur vote en faveur de la formation présidentielle TGV (Tanora malaGasy Vonona – « Jeunes Malgaches déterminés »). Devant les antennes du parti dans plusieurs villes du pays, des foules se rassemblaient au lendemain du scrutin pour réclamer le montant promis.
Le plus souvent 300 000 ariarys (environ 65 euros) liés à des programmes de filets sociaux pour les ménages les plus vulnérables financés par la Banque mondiale. Parallèlement, l’administration et en particulier les enseignants qui constituent le gros des effectifs de fonctionnaires ont été mobilisés sur ordre des directeurs régionaux de l’éducation. Lorsqu’ils en disposent, les smartphones des chefs d’établissements ont, comme Le Monde en a été témoin, été équipés d’une application leur permettant d’enregistrer les nouveaux adhérents du parti orange – la couleur d’Andry Rajoelina.
Les chiffres proclamés par la CENI sont d’ores et déjà contestés devant la HCC. Selon une information recueillie par Le Monde, le candidat Siteny a déposé une requête pour demander « l’annulation des opérations électorales sur l’ensemble du territoire » en s’appuyant sur une liste de résultats de bureaux de vote non conformes aux procès-verbaux originaux. Il a également introduit auprès de la juridiction chargée de statuer sur la régularité de l’élection, une action visant à disqualifier Andry Rajoelina de la course à la magistrature suprême en raison de sa nationalité française. La révélation par plusieurs médias de l’obtention en 2014 de cette nationalité par naturalisation – qui, selon le droit malgache, le déchoit de la nationalité malgache – a marqué la campagne.
Un tour dia vita ? Après des manifestations réprimées à coups de gaz lacrymogènes, l’opposition redoute qu’Andry Rajoelina, galvanisé par sa victoire, n’use davantage de la force pour faire taire les protestations. La nomination du général de gendarmerie à la retraite Richard Ravalomanana à la tête de la présidence par intérim durant la campagne électorale, a suscité l’inquiétude dans les rangs de l’opposition. Le « Général bombe », comme il est surnommé pour ses méthodes expéditives, est un de ceux qui ont aidé Andry Rajoelina, alors jeune maire d’Antananarivo, à renverser Marc Ravalomanana par un coup d’Etat en 2009. Les mesures d’intimidation plus ou moins directes n’épargnent pas même les personnalités qui depuis des semaines enjoignent au pouvoir le dialogue.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, la présidente de l’Assemblée nationale, Christine Razanamahasoa, a été contrainte de fuir sa résidence alors qu’un groupe d’hommes encagoulés s’apprêtaient à y pénétrer. Si rien ne permet de lier cette tentative d’attaque à main armée et le contexte électoral, cet incident survient alors que son initiative de plate-forme de médiation et de dialogue menée avec le Conseil œcuménique des Eglises chrétiennes (FFKM) suscitait l’hostilité du camp présidentiel. « Nous ne sommes plus en sécurité », commentait sobrement Mme Razanamahasoa vendredi après-midi dans l’enceinte de son institution.
Deux tiers de l’île sans électricité
En milieu de semaine, un autre événement avait marqué les esprits. Des gendarmes ont ouvert le feu en plein jour sur un véhicule 4 × 4, tuant ses cinq passagers présentés comme des malfaiteurs récidivistes. Les premiers éléments de l’enquête ont révélé que l’un d’eux était un ancien directeur de l’Institut national de la statistique (Instat), très introduit dans les cercles du pouvoir.
Après un retrait forcé de la scène politique à l’issue du régime de transition (2009-2013), Andry Rajoelina est revenu à la tête du pays, cette fois par les urnes, en 2018. Pour sortir le pays de son extrême pauvreté, le président au passé d’entrepreneur dans le secteur de la communication avait promis de rattraper en cinq ans tout ce que ses prédécesseurs avaient échoué à réaliser pendant les soixante années écoulées depuis l’indépendance. Mais à l’issue de son mandat, son bilan est critiqué. Le Plan émergence Madagascar (PEM) censé baliser sa politique, n’a pas été finalisé et aucune réforme structurelle n’a été engagée.
Selon différentes études menées notamment par l’ONG Ivorary, seulement 13 % des promesses ébauchées dans ce plan ont été réalisées, 38 % sont en cours. Dix-huit millions d’habitants, soit deux tiers de la population, sont toujours plongés dans l’obscurité dès la nuit tombée. Les deux projets de centrale hydroélectrique, lancés il y a plus de huit ans, se sont en effet enlisés. L’autosuffisance en riz, céréale à la base de l’alimentation, n’est pas atteinte. Le secteur phare de la vanille s’est effondré dans une stratégie opaque de fixation des prix laissant sur le carreau des milliers de petits producteurs. Les exportations de girofle, également source de devises, ont été suspendues sans avertissement. Autre symbole, la compagnie nationale Air Madagascar, lourdement endettée, a suspendu ses vols internationaux. « TGV », comme il est surnommé depuis sa fulgurante ascension à la fin des années 2000, a une nouvelle fois beaucoup promis pour rester le maître du pays cinq nouvelles années.
Laurence Caramel
AFP pour La Gazette du continent