En décembre 1990, le journal "Umoja" révèle que le Président-Maréchal Mobutu aurait créé depuis 5 ans une société secrète, dénommée Prima Curia, réunissant autour de lui "les fidèles des fidèles".
L'objectif de cette confrérie était de consolider la stabilité et la pérennité de son régime. Selon le journaliste, on y pratiquait des rituels inspirés des rites des francs-maçons. Les membres de la confrérie auraient signé aussi un "pacte de sang" et s'engageraient à défendre le pouvoir jusqu'au sacrifice suprême. Ils juraient fidélité indéfectible au Grand-Maitre inspirateur de la Prima Curia, le Maréchal Mobutu lui-même.
Le pouvoir et les sciences occultes
Cet article va créer un véritable ouragan dans l'opinion publique zaïroise de l'époque. D'autant plus que la misère sociale pousse souvent les gens à s'accrocher à des fantasmes pour expliquer et échapper à la réalité. Jusqu'à ce jour, beaucoup des gens sont convaincus que la puissance politique du Maréchal Mobutu et la durée de son régime sont liées à des pratiques occultes et à des forces surnaturelles. Plus grave encore, certains compatriotes sont convaincus qu'on ne peut exercer des hautes fonctions politiques sans être adepte de sciences occultes ou s'adonner à des pratiques fétichistes.
Le témoignage de Kengo
Léon Kengo wa Dondo
Léon Kengo wa Dondo, l'une des figures de proue de la deuxième République, nous révèle enfin, dans ses mémoires, l'origine de la Prima Curia.
En 1985, le PF (Président-Fondateur, sigle du président Mobutu) convoque sur son bateau quatre des hauts cadres du Parti-Etat, le MPR. Étaient présents, outre le Maréchal lui-même :
1. Kengo wa Dondo, Premier commissaire d'État (Premier ministre)
2. Kititwa Bengantundu, Premier vice-président du Bureau du Comité Central du parti
3. Bo-Boliko Lokonga, Deuxième vice-président du Bureau du Comité Central
4. Kithima-Bin-Ramazani, Secrétaire général du parti
Besoin d'un comité stratégique
En substance, le président Mobutu dit à ses convives qu'il est content de l'implication et de l'enthousiasme des cadres du MPR dans le fonctionnement du parti. Cette implication massive des cadres a juste un petit inconvénient. Il est très difficile de garder les secrets des délibérations. Dans les organes du parti, nous sommes trop nombreux pour que des choses ne fuitent pas.
Pour pallier cette difficulté, il souhaite que soit mise en place une structure de concertation pour des questions qui ne peuvent sortir du dedans. Elle s'occupera de réflexions et de stratégies sur les questions politiques majeures.
Après l'exposé du président Mobutu, les invités le remercient d'abord pour cette marque de confiance à leur égard. Ensuite, la mission est confiée au citoyen Kititwa (Jean-Marie) de réfléchir à l'organisation de cette structure, avant son approbation, dans une prochaine réunion, par les participants.
La Prima Curia de Jean-Marie Kititwa
Jean-Marie Kititwa
Quelques jours après cette rencontre sur le bateau présidentiel "Kamanyola", Kengo wa Dondo reçoit une copie du draft préparé par Kititwa, dans lequel la structure proposée est dénommée "Prima Curia". N'y comprenant rien, Kengo appelle Kititwa pour lui poser la question. Kititwa lui explique que, ayant été ambassadeur du Zaïre au Vatican, il s'est inspiré des structures du Saint-siège et de leurs dénominations. C'est ainsi qu'on trouve dans ce document la "Prima Curia", qui veut dire la première cour, le premier cercle, la première assemblée, les "dicastères", les "congrégations", etc. Kengo manifeste son étonnement en disant à Kititwa que sa structure est trop complexe pour un petit comité de 4 ou 5 personnes.
Informé du draft rédigé par Kititwa, le président Mobutu abandonnera ce projet de comité stratégique. Il n'y aura plus une autre réunion.
Le journal Umoja publie le draft de Kititwa
En décembre 1990, le journal Umoja tombe sur ce projet de Kititwa. Et un des brillants journalistes de ce quotidien va rédiger un article qui fait appel à toute la fantasmagorie congolaise (zairoise à l'époque) : des gens qui se réunissent la nuit, qui font des pactes de sang, qui font allégeance au Grand-maitre, etc.
D'où le succès de l'article. Alors que la réalité, selon Kengo, qui jure sur sa foi chrétienne, est que la société secrète "Prima Curia" n'a jamais existé sous la deuxième République. C'était un mythe.
En conclusion, comme le dit si bien Kengo lui-même, "le développement ou le sous-développement d'un peuple est avant tout une question de mentalité".
A mon avis, il est difficile de "bâtir un pays plus beau qu'avant", si nos raisonnements sont encore dominés par l'irrationnel.
Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national
ational