A deux mois du scrutin présidentiel, la justice a ordonné ce jeudi 14 décembre la réinscription sur les listes électorales du principal opposant du pays, emprisonné depuis fin juillet. Les avocats de l’Etat ont annoncé qu’ils allaient se pourvoir en cassation.
Nouveau rebondissement dans la guerre judiciaire à laquelle se livrent l’Etat sénégalais et le plus farouche opposant du pays. Le tribunal de grande instance de Dakar a annulé ce 14 décembre la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales, qui rendait jusque-là l’ancien fonctionnaire de 49 ans inéligible pour la présidentielle de 2024. Cette décision confirme celle rendue en octobre par le tribunal de Ziguinchor (sud-ouest), cassée un mois plus tard par la Cour suprême.
« Ce verdict n’est pas une victoire d’Ousmane mais celui de tout le Sénégal. Il va permettre de réconcilier le peuple avec la justice », s’est réjoui, devant le tribunal, l’un des partisans de l’homme politique à l’ascension fulgurante, emprisonné depuis le 31 juillet sous divers chefs d’inculpation dont « appel à l’insurrection ». « Reconnaissance infinie à ce formidable peuple sénégalais ! Remerciements à tous nos soutiens africains et étrangers ! », a de son côté réagi sur Twitter (renommé X) celui qui rêve de succéder au président Macky Sall.
Course aux parrainages
Ousmane Sonko, qui est aussi le leader de l’ancien parti Pastef, avait été radié des listes électorales en août 2023 par le ministère de l’Intérieur à la suite de sa condamnation à deux ans ferme pour « corruption de la jeunesse » dans un procès pour viol et menaces de mort – deux charges pour lesquelles il a été acquitté. Sa condamnation avait provoqué de grandes émeutes meurtrières à travers le pays.
Alors qu’il semblait définitivement écarté de la course à la présidentielle, l’opposant pourrait donc désormais se présenter à la magistrature suprême, le 25 février 2024. Le rival d’Amadou Ba, le candidat du pouvoir, a jusqu’au 26 décembre, soit un délai très court, pour recueillir les parrainages nécessaires et déposer son dossier devant la Cour constitutionnelle. Pour se présenter au scrutin, chaque candidat doit obtenir les signatures d’au moins 0,6 % du corps électoral, c’est-à-dire plus de 44 500 parrainages valides.
La partie est néanmoins loin d’être gagnée pour le maire de la ville de Ziguinchor, qui se heurte à un autre défi de taille. A la sortie de l’audience, les avocats de l’Etat sénégalais ont d’ores et déjà annoncé qu’ils allaient se pouvoir en cassation. «Ceux qui jubilent aujourd’hui n’ont rien compris», a d’ailleurs prévenu l’avocat El Hadji Diouf à la sortie de l’audience. «Ce recours n’est pas suspensif, a pour sa part affirmé Ciré Clédor Ly, l’un des avocats de l’opposant. Le code électoral est très clair : lorsque le juge rend sa décision, celle-ci doit être immédiatement exécutée.» En octobre, après la décision du juge de Ziguinchor qui avait remis Ousmane Sonko dans la course, la Direction générale des élections (DGE) relevant du ministère de l’Intérieur avait refusé de lui délivrer les fiches officielles qui lui permettaient de recueillir ses parrainages.
Populaire chez les jeunes
Ousmane Sonko accuse le président Macky Sall, qui s’en défend, d’utiliser ces multiples procédures judiciaires comme un «complot» visant à l’écarter du pouvoir. Le discours souverainiste, l’opposition à «l’ingérence» de l’ex-puissance coloniale française, ou encore les phrases-choc contre une classe politique «corrompue» valent à l’opposant d’être soutenu massivement par les moins de vingt ans, qui représentent la moitié de la population sénégalaise.
Le 18 octobre, Ousmane Sonko avait annoncé qu’il entamait une grève de la faim – seule manière d’exprimer sa «résistance» et de marquer sa «solidarité» avec tous les militants «injustement arrêtés pour avoir exprimé leurs opinions politiques». L’homme politique, qui avait dû être hospitalisé après une dégradation de son état de santé, a depuis recommencé à s’alimenter mais pourrait reprendre sa grève de la faim en fonction «du contexte», avait annoncé mi-novembre l’un de ses proches.
AFP pour (La Gazette du Continent)