Le nom de Joseph-Desiré Mobutu (qui s'appellera Mobutu Se Seko Kuku Ngbendu wa Zabanga à partir de 1971, le "recours à l'authenticité zaïroise", décrété par le régime qui obligea tous les Congolais, devenus Zaïrois, à se défaire des noms et des prénoms à consonnance étrangère) est lié à l'histoire du Congo-Zaïre, comme l'est le nom de Jules César à la Rome antique ou celui de Toutankhamon à l'Égypte pharaonique. Il le restera certainement longtemps. Et pour cause : l'homme est entré dans l'arène politique congolaise dès les premiers jours de l'indépendance du pays acquise le 30 juin 1960 et y est resté jusqu'au 17 mai 1997, successivement comme secrétaire d'État au gouvernement du premier ministre Patrice Lumumba, colonel, général, chef d'état-major de l'Armée nationale congolaise puis finalement président de la République, fonction qu'il a occupée pendant trente-deux ans.
Des réussites lui sont reconnues, notamment la structuration et la consolidation de la conscience et de l'unité nationales. Osmose citoyenne obtenue particulièrement grâce à l'ingénieuse trouvaille du régime, celle de l'administration territoriale qu'ont tenue des hauts fonctionnaires (civils et militaires) non originaires de leurs provinces d'affectation. Ils ont été des arbitres "neutres" devant les conflits qui ont parfois opposé les populations locales. Le discours de haine ethnique et les actes avérés de tribalisme furent des infractions graves et sévèrement punies. Il en a résulté la paix politique que le pays a connue pendant de longues années.
Il est également reconnu au régime quelques grandes réalisations économiques. Le barrage d'Inga en est la plus importante avec le transport de courant continu de la province du Congo Central jusqu'au Katanga par des milliers de kilomètres de câbles soutenus par d'énormes pylônes traversant forêts, savanes, monts et vallées.
Au tableau des échecs, on note la zairianisation (nationalisation) de l'économie nationale, décidée en 1974, laquelle a été la fatale erreur du mobutisme. Nourrie de l'idéologie nationaliste, souverainiste, elle avait eu pour objectif (louable ?) de mettre aux mains des nationaux l'économie du pays détenue à l'époque à plus de 90% par des étrangers (en majorité des Belges, des Grecs et des Portugais) et de créer ainsi un entrepreneuriat zaïrois. Les biens "zairianisés" (échoppes, fermes, plantations, entreprises industrielles, sociétés commerciales) furent distribués, comme un butin de guerre, à quelques fervents membres du Mpr - des "mobutistes convaincus et convaincants", se vantaient-ils - ainsi qu'aux amis et aux familles des grosses légumes, les puissants du pays de l'époque. Ces derniers s'étaient évidemment eux-mêmes attribués, sous la couverture de prête-noms, les plus importantes entreprises dépossédées à leurs propriétaires étrangers. Une vaste et officielle rapine. Les compatriotes du "président-fondateur", les "acquéreurs", n'ont presque tous pas fait preuve de qualité de bons gestionnaires : en moins de deux ans, des faillites firent enregistrées en cascade et qui ont fait péricliter l'économie du pays qui peine, depuis lors, à se relever. Cinquante ans plus tard, celle-ci est revenue à plus de 80% aux mains des étrangers (en majorité des Indiens, des Pakistanais, des Libanais et des Chinois). Les Zaïrois-Congolais auront ainsi inutilement déshabillé saint Pierre (les Occidentaux) pour habiller saint Paul (les Orientaux). Un gâchis de temps, matière première pour toute activité humaine.
Des griefs d'enrichissements sans causes, illicites, ont également été adressés aux dirigeants du pays. Des crimes politiques ont aussi été imputés au régime, lesquels auront été les dadas, le menu de critiques de ses opposants et pourfendeurs.
Le régime du Parti-État a sans doute été tyrannique par sa nature même de parti unique. La dictature - l'intolérance politique - fut officiellement assumée. D'aucuns se rappelleront du slogan "olinga, olinga te ozali na Mpr". Le fœtus de toute femme zaïroise, disait-on, était déjà membre du Mpr : tout Zaïrois l'était donc du premier au dernier souffle de sa vie. Renier son appartenance au parti ou ne pas se soumettre aux orientations de ce dernier était taxé de "déviationisme", de comportement anti-patrie, légalement puni. Les services de sécurité ainsi que les cours et tribunaux furent des instruments de répression du parti et leurs agents ses "militants". La prison, la relégation au village natal ou la mort était le destin des réfractaires, le sort réservé à tout opposant redouté, embêtant, irréductible. Plusieurs "conspirateurs" contre le régime furent judiciairement condamnés et exécutés. Et c'est, par exemple, sans remords et avec conviction de bien dire et d'être du bon côté de l'histoire qu'Etienne Tshisekedi, influent ministre de la Justice, justifia en 1966, avec des arguments à glacer le sang, la pendaison de l'ancien premier ministre Evariste Kimba et de ses trois compagnons d'infortune.
L'étau totalitaire s'était finalement desserré en avril 1990 avec la fin du parti unique. Des centaines de partis politiques furent aussitôt créés et la parole se libéra. Etienne Tshisekedi, devenu opposant farouche au maréchal Mobutu, et d'autres contradicteurs de ce dernier lui avaient tenu la bride serrée, mené la vie dure. Ils avaient contribué, s'associant à d'autres forces internes et externes, à affaiblir le "léopard" qui, édenté, dégriffé et malade, sera finalement vaincu par l'Afdl, rébellion dirigée par Laurent-Désiré Kabila.
Qu'est devenu le Congo vingt-sept ans après son éviction du pouvoir et sa mort ? L'unité nationale a-t-elle été préservée, consolidée ? La paix politique est-elle toujours une réalité dans le pays ? Des progrès ont-ils été enregistrés dans le domaine économique ? La vie sociale s'est-elle améliorée ? Le Congo a-t-il connu des avancées, des nouveautés en infrastructures routières, ferroviaires, aériennes, fluviales et autres ? Les détournements des biens et de l'argent de l'État, les enrichissements des gestionnaires publics sont-ils combattus, sanctionnés ? A-t-on cessé de truander l'Etat ? Les actes de corruption sont-ils punis plus sévèrement qu'avant ? Les arrestations, les procès politiques et les assassinats d'opposants ont-ils cessé ? Les libertés publiques, notamment celles de s'exprimer, de se réunir et de manifester, sont-elles devenues des réalités démocratiques dans le pays ? Le climat des affaires est-il aujourd'hui favorable aux entrepreneurs, nationaux comme étrangers ? La souveraineté du pays est-elle mieux défendue, préservée ? La sécurité des Congolais et celle des frontières du pays sont-elles efficacement assurées, mieux qu'avant ? Les institutions politiques et administratives fonctionnent-elles dans les normes et sont-elles efficientes, productives ? L'environnement physique de nos villes et cités est-il beau, agréable, vivable ? La qualité de vie est-elle meilleure qu'auparavant ? L'image du pays est-elle bonne à l'extérieur ? Dans quels secteurs les successeurs du maréchal Mobutu (Laurent-Désiré Kabila, Joseph Kabila, Félix Tshisekedi) ont-ils fait mieux que lui ? À chacun de nous de répondre objectivement à ces questions.
Si aujourd'hui, et à l'épreuve de la gestion du pouvoir, il se constate qu'on n'a pas égalé Mobutu ou on a fait moins que lui ou pire que lui, ne s'impose-t-il pas, dès lors, politiquement aux dirigeants actuels du pays de lever (courageusement) l'option de réhabiliter sa mémoire, son nom, par quelques actes symboliques ? Fallait-il combattre Mobutu pour ne pas finalement changer le Congo, ne pas donner aux Congolais l'espoir d'un avenir meilleur ?
Wina Lokondo
Analyste et acteur politique