Page d’histoire culturelle : « Chemin de la vie » ou le parcours vers le succès de Koffi Olomide

Page d’histoire culturelle : « Chemin de la vie » ou le parcours vers le succès de Koffi Olomide

L'aspect ignoré de la musique congolaise

Un auteur célèbre avait défini la vie comme étant la distance qui sépare notre berceau de notre tombe. Durant ce moment de vie, plus ou moins long, toute personne normalement constituée devrait se poser trois questions au moins : Ou étais-je avant ma naissance ? Quel est le sens de ma vie ? Qu'y a-t-il après la mort ? Contrairement à l’image caricaturale qu’on donne parfois de la musique congolaise (musique limitée à l’apologie de l’amour et des plaisirs sensuels) et des musiciens congolais (des personnages superficiels, adeptes de jouissances, égocentriques et matérialistes), la rumba et les artistes–musiciens congolais ont produit et continuent de produire des chansons qui ont souvent pour thèmes des sujets graves et profonds tels que la vie, la mort, l’ingratitude, la religion, l’éducation. . .

Des chansons de réflexion

Par exemple, Rochereau Tabu Ley écrira, en 1966, une très belle chanson sur la mort intitulée « Mokolo nakokufa » ou « le jour de ma mort ». C’est le tout premier disque d’or de l’histoire de la musique congolaise. Un autre musicien, ancien joueur de clarinette dans la fanfare de l’Église Kimbanguiste, du nom de Verckys Kiamwangana Mateta, sortira une chanson au début des années 1970, dans laquelle il s’interroge sur les croyances et pratiques du christianisme en général et du catholicisme en particulier. C’est la chanson « Nakomitunaka » qui veut dire tout simplement « Je m’interroge ». Chanson que le président Mobutu va utiliser dans sa croisade contre l'église catholique et le cardinal Malula.

Koffi Olomide le penseur

Dans cette lignée, un autre artiste-musicien de talent du nom d’Antoine-Christophe Agbepa Mumba dit Koffi Olomide, qui à mon humble avis fait partie du Top 10 des meilleurs compositeurs de la rumba congolaise, va nous raconter son parcours initiatique de la vie dans une très belle chanson justement intitulée « Chemin de la vie ».

Nous allons tenter de décortiquer cette chanson de 6 minutes 54 secondes en suivant Koffi Olomide dans les cinq étapes qu’il a franchies dans son cheminement philosophique et spirituel. En effet, le fils d’Amy Muyonge Moore (membre de la célèbre association de Femmes commerçantes du zaïre,FECOZA) et de charles Agbepa (ancienne star du football kinois et joueur de l’équipe V-Club) va connaître un parcours initiatique personnel, parcours qu’il nous raconte dans la chanson sous examen. Ces cinq étapes sont :

1° Le questionnement
2° La prière
3° Le bilan de sa vie
4° L’illumination ou l’éveil
5° La sérénité

I. Le questionnement

Koffi Olomide commence dans la première strophe de sa chanson par un questionnement que voici :

« Ngai nasala nini vraiment ?
Ngai nasala nini penza ?
Po nabonga na la vie
Po nga pe bandima nga
Batika koseka ngai
Batika kozomela ngai
Pona bonga na mokili
Po nga pe bandima nga
Lokola baninga »

Traduction

« Que dois-je faire vraiment (2 fois)
Pour réussir dans la vie
Pour qu’on m’admire aussi
Pour qu’on arrête de se moquer de moi
Pour qu’on arrête de me huer
Pour réussir dans le monde
Pour qu’on m’admire aussi
Comme on admire les autres ? »

Dans cette strophe, on voit bien que l’artiste est en plein questionnement existentiel. Chaque être humain a besoin, au-delà du boire et du manger, de considération sociale et de l’estime de soi, résultat du sentiment de réussite. Koffi a remarqué que dans la vie, ceux qui ont « réussi » sont considérés et admirés. Il se pose alors la question de savoir que doit–il faire pour réussir ?

II. La prière

Après ce questionnement, le chanteur va adresser une prière particulière à Dieu. Cette prière comporte deux parties.

1° « Moyen moko soki ezali
Nzela moko soki ezalaka
Oyo moto alandaka po abonga
Lakisa ngai yango Yahweh
Palado ! Ata na ndoto »

Traduction

« S’il existe un moyen
S’il existe une voie
Qu’une personne peut suivre pour réussir
Montre–la moi, Seigneur !
S'il vous plaît! Même en rêve !

Notre narrateur, n’ayant pas trouvé des réponses aux questionnements de la première strophe, va se tourner vers son Dieu à qui il adresse cette touchante prière. Comme il est dit dans la Bible que Dieu s’exprime de plusieurs manières, il lui demande de lui révéler le moyen à utiliser ou le chemin à emprunter pour arriver à la réussite. Il supplie Dieu de lui faire cette révélation même dans un rêve.

2° " Limbisa masumu ma nga
Mabe na nga natubeli
Oya nga nzela soki bakanga
Etoile na nga soki babebisa
Na bondoki to na magie
Fungola nga nakende liboso "

Traduction

" Pardonne–moi mes péchés
Je confesse mes mauvaises actions
Mon chemin semble barricadé
Mon étoile paraît obscurcie par des gens
Qui pratiquent la sorcellerie ou la magie
Délivre–moi (Seigneur) pour que j’aille de l’avant."

Dans cette seconde partie de la prière, l’auteur compositeur mélange deux croyances spirituelles, la croyance chrétienne et la croyance bantoue.

La croyance chrétienne

Conformément à cette croyance, Koffi pense que les difficultés qu’il rencontre dans la vie peuvent avoir pour origines ses propres péchés (comportements contraires aux prescriptions divines contenues dans la Sainte Bible) ou ses mauvaises actions. Comme chrétien, il doit de les confesser afin d’être absout. Cette absolution permettra à Koffi de jouir de la Grâce divine. Et c’est la grâce divine qui va déboucher son chemin et lui permettre ainsi d’aller de l’avant.

La croyance bantoue

En même temps, l’auteur de cette chanson pense, comme beaucoup de bantous, que ses malheurs peuvent avoir une origine, non pas expiatoire pour ses propres péchés ou ses mauvaises actions, mais plutôt maléfique; suite à la pratique de la sorcellerie et de la magie noire par certains individus malveillants. Ces personnes auraient le pouvoir de remplir d’obstacles votre chemin vers la réussite ou d’empêcher votre étoile de briller. Le narrateur demande alors à Dieu de neutraliser toutes ces forces maléfiques afin de libérer son chemin vers la réussite.

Après le questionnement et la prière, Koffi Olomide va accéder maintenant à l’étape où il fait le bilan provisoire de sa vie. Souvenons–nous qu’à l’époque où il compose cette chanson « Chemin de la vie », Koffi Olomide a une trentaine d’années.

III. Le bilan de sa vie

" Tangu nazalaki mwana moke
Na ba mbula zomi na ndambo
Moto soki azalaki na vingt-cinq ans
Nazalaki komona ye mpaka
Lelo nga ba mbula tuku misatu
Eloko moko te, kaka boye
Nabandi kobota, nabali
Aristote akobenga nga Papa
Elvis pe aye sima ndenge moko
Mwana mobali akosuka wapi ? "

Traduction

" Lorsque j’étais très jeune
Agé d’une dizaine d’années (adolescent)
Une personne qui avait 25 ans
Me paraissait très âgée
Et moi aujourd’hui, à trente ans
Je suis toujours démuni, les mains vides
Alors que je commence à avoir des enfants, je suis même marié
Aristote (son fils ainé) m’appelle « Papa »
Elvis (le 2e fils) aussi est né et fait la même chose
Comment je vais m’en sortir dans cette existence ? "

L’auteur-compositeur, en faisant le bilan de sa vie, se rend compte qu’il n’est qu’un simple prolétaire au sens romain du terme. En effet, dans l’antiquité romaine, on appelait « prolétaires », les membres de la dernière classe sociale qui était exemptés du payement de l’impôt; parce qu’ils n’avaient pour toute richesse que leurs enfants susceptibles de servir la République. Et le parolier nous avoue qu’il n’a absolument rien (ni maison, ni voiture, ni compte en banque…), sauf ses deux fils Aristote et Elvis. Il s'interroge alors comment il va se dépêtrer de cette existence misérable (ou déplorable).

IV. L’illumination ou l’éveil

Nous pouvons définir l’illumination ou l’éveil spirituel, le processus par lequel on accède à une vérité spirituelle qu’on ignorait jusque-là. Ecoutons Koffi Olomide nous révéler cette vérité qu’il découvre à la quatrième étape de son parcours initiatique.

" La vie nde boye, Papa
La vie nde boye, Mama
Bato bakokanaka te
Nzambe aza pourtant se moko
Ye moko akela bato na se
Ye moko atiya bokeseni
Ye moko ayebi destin ya moto
Ngai moto nalela tina nini ? "

Traduction

" C’est comme ça la vie, mon cher
C’est comme ça la vie, ma chère
Les gens ne se ressemblent pas
Et pourtant Dieu est Unique
C’est lui qui a créé les habitants de la terre
C’est lui qui a établi les différences
C’est lui qui connaît le destin de chacun
Pourquoi devrais–je me lamenter ? "

On voit dans cette strophe que Koffi Olomide découvre la vérité selon laquelle Dieu est le maître de tout. Créateur du Ciel et de la Terre, Il a aussi créé les hommes en les dotant des capacités et des talents différents. Chacun d’entre nous devrait utiliser ses capacités et ses talents conformément à son destin. Oui, parce que chacun de nous a son destin.

Sur base de ce constat, le compositeur conclut qu’il serait insensé de se comparer aux autres (vous n’avez ni les mêmes capacités ni le même destin) ou de se lamenter.
Cette révélation ou illumination va conduire Koffi Olomide à la cinquième et dernière étape de son parcours : la sérénité.

V. La sérénité

Après s’être posé des questions, après avoir prié, fait le bilan de sa vie et reçu la réponse, Koffi Olomide accède à la sérénité. Ceci transparaît clairement dans la dernière strophe de sa chanson.

« Ngai papa n’Elvis
Nasalaka na boboto
Na motema petua pe moko
Eloko kombo zua nayebi te
Likunya nzambe apima ngai
Yango nalelaka te po nayebi
Nzambe akopona ngai
Na tango na nga !

Traduction

« Moi le papa d’Elvis
Je travaille avec bienveillance (bonté)
Avec un cœur pur et sincère
Je ne connais pas le sentiment de jalousie
Dieu m’a privé de la convoitise
C’est pourquoi je ne me lamente jamais
Parce que je sais que Dieu me choisira
Quand mon heure viendra »

Ici, l’artiste nous donne sa recette pour atteindre le succès, la réussite. Il suffit de travailler dur, avec bienveillance et honnêteté, sans jalouser personne ni convoiter les biens ou la réussite des autres ; ta réussite ou ton succès sera au rendez-vous au moment où Dieu l’avait programmé, conformément à ton destin. En attendant ce grand jour, reste serein ! Et c'est cette sérénité qui va t'aider à déployer tout ton talent, toutes tes capacités quelque soit ton domaine d'activité.

Merci beaucoup à l’artiste Koffi Olomide, le Grand Mopao, pour avoir partagé avec nous dans son « chemin de la vie » la recette qui l’a mené au sommet du succès de la musique congolaise et africaine. Je dois aussi témoigner que personnellement cette chanson m'a aussi aidé à traverser les périodes difficiles de mon humble existence.

 

Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national

 

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