L’arrestation de Jean – Pierre Bemba en 2008.

L’arrestation de Jean – Pierre Bemba en 2008.

Fête de première communion chez Sam Bokolombe

Nous sommes le samedi 24 mai 2008. Les après–midi, je me retrouve chez Sam Bokolombe, cadre du MLC (Mouvement de Libération du Congo) et directeur général de la DGI (Direction Générale des Impôts). En tant que Secrétaire Exécutif National du MLC et député national, Sam Bokolombe m’a convié à une réception qu’il a organisée ce jour–là à l’occasion de la première communion de sa fille. Parmi les invités, il y a les membres de la famille Bokolombe, leurs amis et connaissances et quelques cadres du MLC. Parmi ces derniers, je me souviens de l'honorable Micheline Bie Bongenge, élue du territoire d'Ingende. Dans la province de l’Equateur. Comme dans la plupart des fêtes mongo (Bokolombe est un mongo de Basankusu), il y a à boire et à manger à profusion. L’ambiance est festive. Les conversations vont bon train et on entend des éclats de rire par-ci, par-là. Quelques invités, déjà légèrement éméchés esquissent des pas des danse dans la cour de la résidence, au rythme de la musique folklorique mongo et de la rumba congolaise. On sent cependant chez certains danseurs que le déhanchement est contrôlé. Notre présence, et surtout celle de Sam Bokolombe, le chef de famille, les obligent à rester dans la bienséance. Mais on savait que sous l’effet grandissant de l’alcool, la décence allait disparaître et les mamans mongo se mettraient à exhiber les « eteko », danse qui consiste à donner des coups de butoir avec ses hanches.

En conversation avec Jean-Pierre Bemba

Donc, jusque-là, tout va bien. Vers 16h, je reçois un coup de fil de notre président du parti Jean–Pierre Bemba. Il est en exil en Belgique depuis 2007, à la suite des affrontements armés qu’il y a eus dans la ville de Kinshasa au mois de mars de la même année. Je m’éloigne au fond de la cour de Bokolombe pour échanger calmement avec le chairman (surnom de Jean-Pierre Bemba). Notre entretien téléphonique de ce jour–là (on se parlait tous les jours) va durer environ 45 minutes. Evidemment, notre sujet de conversation avec lui était politique. Mais en passant, on abordait d’autres sujets. Après la conversation avec Jean-Pierre Bemba, je suis resté encore une demi-heure à la fête. Vers 17h30’, j’ai annoncé mon départ. Sam Bokolombe et quelques cadres du parti m’ont accompagné jusqu’à mon véhicule. Et j’ai démarré.

L'appel de Ghislaine Dupont de RFI

Arrivé chez moi (nous habitons le même quartier GB avec Bokolombe) et au moment où je garais mon véhicule, mon téléphone se met à sonner et je vois apparaître le nom de Ghislaine Dupont, journaliste française de la RFI (Radio Franche Internationale). Je prends la communication. Elle me demande où j’étais et si tout allait bien. Je lui dis oui ; ensuite, elle me demande comment allait Jean-Pierre. Je lui répondis qu’il allait bien, d’ailleurs je venais d’avoir une longue conversation avec lui il y a moins d’une heure. C’est alors qu’elle me dit qu’elle était à Paris et qu’elle venait de recevoir, à l’instant même, une information selon laquelle la police belge procédait à l’arrestation de Jean-Pierre. Elle souhaitait recouper l’information. J’ai demandé alors à Ghislaine Dupont de m’accorder cinq minutes, le temps de vérifier l’information.

Échanges avec le vieux Jeannot Bemba Saolona

Je me mis alors à appeler Jean-Pierre Bemba ; à deux ou trois reprises son téléphone sonne dans le vide, il ne décroche pas. Et je commence à m’inquiéter. C’est à ce moment-là que je me suis souvenu que le sénateur Jeannot Bemba, le père de Jean-Pierre, était lui aussi à Bruxelles. Je l’appelle. Il décroche tout de suite. Je lui demande, en lingala, si tout va bien. Il me répond (toujours en lingala) que tout allait bien. D’ailleurs, il est au restaurant avec ses petits-enfants (les enfants de Jean–Pierre) et ils attendent que Jean-Pierre les rejoignent d’un moment à l’autre. Je lui fais part de l’information que j’ai reçue d’une amie française qui est à Paris. Et du fait que j’appelle Jean-Pierre, sans succès. Il va lui-même essayer de l’appeler sans plus de résultat. Le vieux Jeannot m’informe alors qu’il a décidé d’envoyer la fille aînée de Jean-Pierre à la résidence pour s’enquérir de la situation. Lui, il reste au restaurant avec ses autres petits-enfants ; il me tiendra au courant, promet-il. Trente minutes après, le vieux Bemba Saolona me rappelle pour me confirmer que sa petite fille a trouvé de nombreux policiers belges à la résidence et que son père n’a plus le droit de répondre au téléphone. Le vieux Bemba est très abattu.

Le grand choc émotionnel pour notre parti

Personnellement, je suis aussi très affecté par cette arrestation de Jean-Pierre ; mais pas totalement surpris.


Car, en effet, depuis plusieurs mois, mes contacts à la CPI, à Paris, à Bruxelles et même à Washington, me faisaient part du lancement de la procédure d’arrestation enclenchée discrètement contre Jean-Pierre Bemba. En toute loyauté, devant Dieu, et Jean-Pierre Bemba pourra lui-même en témoigner, je lui faisais part de toutes ces informations. A chaque fois, il me disait qu’il n’y a rien de sérieux ; qu’il suivait lui-même la situation de près. Le réveil sera alors très brutal ce dimanche 25 mai 2008. Pour lui-même et pour nous tous, cadres, militants et sympathisants du MLC. L’arrestation de notre leader fut comme un véritable coup de massue que nous avons reçu sur la tête.

La guerre de succession au sein du MLC

Après le départ de François Mwamba, secrétaire général du parti en 2010, et les élections générales de 2011, une guerre intestine pour le contrôle de la machine politique MLC va être déclenchée contre moi, le nouveau secrétaire général du parti, par un groupe de députés nationaux élus, majoritairement originaires de la province de l’Equateur. Ces ambitieux avancent deux arguments fallacieux pour m’évincer de la tête du MLC.
Primo, la province de l’Equateur (grand Equateur) est la grande pourvoyeuse d’élus du parti, donc, l’Equateur doit aussi fournir le secrétaire général du MLC, qui est de facto le numéro un du parti en l’absence de Jean-Pierre Bemba, président national.
Secundo, Thomas Luhaka n’a pas été élu en 2011 comme député national; il ne peut donc pas rester le secrétaire général du MLC.
Comment vais- je parvenir, en fin de compte, avec les soutiens de Jean-Pierre Bemba et de Fidèle Babala, un haut cadre du parti, à neutraliser les leaders de ce groupe et ainsi préserver l’unité et la cohésion du parti ? Ça c’est une autre histoire.

Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national

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