Togo : mort en exil de l’opposant Agbeyomé Kodjo

Togo : mort en exil de l’opposant Agbeyomé Kodjo

Forcé à quitter le pays après sa défaite lors de la présidentielle de 2020, l’ancien premier ministre vivait au Ghana en secret, où il est mort dimanche à l’âge de 70 ans.

Ancien premier ministre devenu opposant, Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo est décédé, dimanche après-midi 3 mars, à Tema, au Ghana. Il vivait en exil après avoir contesté le résultat de l’élection présidentielle togolaise de février 2020, qu’il estimait avoir remportée contre Faure Essozimna Gnassingbé, chef de l’Etat depuis 2005. Selon la presse nationale, l’homme de 70 ans a fait un « malaise ». Sa famille n’a pour l’instant pas souhaité s’exprimer ni donner des détails.

« Je n’avais pas connaissance du fait qu’il était malade », explique au Monde Paul Missiagbéto, conseiller spécial de M. Kodjo, chargé des affaires politiques et civiques de son parti, le Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement (MPDD).

« Je sais qu’il est mort au Ghana aux alentours de 15 heures. Sinon, nous ne parlions jamais du lieu où il était en exil. Je sais juste qu’il vivait dans la clandestinité et qu’il m’a dit plusieurs fois qu’il ne sortait pas de chez lui par crainte qu’il lui arrive quelque chose », détaille au Monde M. Missiagbéto. Son décès affaiblit une opposition fracturée par des luttes internes alors que, déjà, elle avait perdu l’évêque Mgr Philippe Fanko Kpodzro le 9 janvier, mort à 93 ans en Suède. Celui-ci avait aussi fui le pays au lendemain de la présidentielle de 2020, lors de laquelle il avait soutenu Agbéyomé Kodjo.

Depuis ce scrutin, M. Kodjo ne cessait de se réclamer « président élu » du Togo, dénonçant une élection truquée. Selon la Cour constitutionnelle, l’opposant était arrivé deuxième avec 19,46 % des voix, derrière le chef de l’Etat. Se proclamant victorieux et appelant à la mobilisation des Togolais contre le pouvoir, il avait été démis en mars 2020 de son immunité parlementaire puis arrêté quelques jours en avril par le service central de recherches et d’investigations criminelles. Il avait ensuite été placé sous contrôle judiciaire. Craignant une nouvelle arrestation après avoir une nouvelle fois revendiqué sa victoire, il était passé dans la clandestinité en juillet, débutant ainsi son exil.

Agbéyomé Kodjo était resté actif sur les réseaux sociaux et avait introduit des recours à l’international sur sa condition. En 2022, Agbéyomé Kodjo avait obtenu une victoire avec la condamnation de l’Etat togolais par la Cédéao qui a jugé « arbitraires et illégales » la détention et l’arrestation de l’opposant en 2020.

Rivalité

Diplômé de l’université de Poitiers en France, M.Kodjo s’est rapidement engagé en politique au Togo, sous Etienne Gnassingbé Eyadema, père de l’actuel président. D’abord ministre de la jeunesse et des sports, il est nommé ministre de l’intérieur de 1992 à 1993, et premier ministre de 2000 à 2002. Il critique alors le pouvoir, quitte l’exécutif et part en exil en France jusqu’en 2005. C’est en 2008 qu’il crée son parti, qui deviendra plus tard le MPDD.

Candidat aux présidentielles de 2010 et 2020, il était reconnaissable à son timbre de fumeur. « Il avait cette voix rauque avec laquelle haranguait les foules. Il parlait fort et n’avait presque pas besoin de micro, » se souvient David Dosseh, leader du mouvement Tournons la Page au Togo. M. Dosseh lui reconnaît aussi une forme de « détermination politique », « d’autant plus qu’on ne l’attendait plus à la présidentielle de 2020. »

Il ne faisait cependant pas l’unanimité au sein de l’opposition, qui continuait à lui reprocher son travail passé au service du pouvoir. La répression sanglante de l’opposition à Fréau Jardin, à Lomé, le 25 janvier 1993, alors qu’il était ministre de la sécurité lui était reprochée. Enfin, sa rivalité avec l’autre opposant historique Jean-Pierre Fabre – aujourd’hui maire du 4e arrondissement de Lomé – participait à la division de l’opposition togolaise.

Le mort de l’opposant survient alors que le Togo est en pleine préparation d’élections législatives et régionales, prévues pour le 20 avril, avant la présidentielle de 2025. Le MPDD avait décidé de boycotter ces échéances. « Nous avons trois conditions, sans quoi les partis membres de la coalition DMK, dont est membre le MPDD, sont résolus de ne pas aller aux élections. Nous demandons le retour des exilés politiques, la libération des détenus politiques et d’opinion et des assises nationales et inclusives, » explique au Monde Paul Missiagbéto. Il précise que la DMK a saisi le gouvernement togolais et les diverses ambassades européennes au Togo pour trouver du soutien.
 
Dans un communiqué, Ben Koffi Djagba, qui se dit « premier ministre » du « gouvernement » d’Agbéyomé Kodjo, « présente ses sincères condoléances, les plus attristées, à toutes les filles et tous les fils du Togo tout entier » et « appelle le peuple togolais à un dépassement et à un sursaut républicain. » Le 4 mars au soir, le gouvernement du Togo n’avait pas réagi au décès d’Agbéyomé Kodjo.
 
 
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