Dans le cadre du renouveau attendu de notre pays, la question du meilleur emplacement de la capitale revêt un caractère prioritaire. Car l’actuel constitue en lui-même un réel problème qui contribuemalheureusement à tirer le pays vers le bas. C’est pour cela qu’il est urgent d’entamer une réflexion sur cette importanteet sensible question en tenant compte du fait que ce pays est le nôtre. Il nous appartient.Et c’est donc à nous de lui donner l’orientation politique la plus à même d’impulser son développement harmonieux et de maintenir en vie la population dans sa globalité.
Envisager de changer la capitale de notre pays ne peut pas être une question tabou à l’exemple des Belges, les envahisseurs, qui l’avaient fait à maintes reprises. En effet la première capitale de l’État Indépendant du Congo (EIC) était à Vivi, en amont de Matadi. D’abord Capitale de l’Association Internationale du Congo (AIC), elle fut construite en 1879 par Stanley sur une monticule. Son choix se justifiait par le fait que c’était le point de départ de la route qui devait mener jusqu’à Kinshasa afin de faciliter le transport vers l'intérieur du pays de marchandises importées comme les pièces des bateaux à vapeur pour la navigation surle bief du fleuve Congo.
Stanley y avait établi son quartier général en tant que premier administrateur de l’AIC avant d’être remplacé par l’anglais Sir Francis de Winton, d’abord son adjoint. Situé à l’extrême limite de la navigation sur le fleuve depuis l’embouchure, ce poste fut choisicommelieu idéalen vue de la conquête de tout le pays à cause des difficultés que représentait le terrible verrou des cataractes. Mais cette localisation comme capitale du pays posa très vite problème à cause du manque de possibilité d’y construire un port en plus de son relief sablonneux. C’est ainsi qu’il fut décidé de transférer la capitale de Vivi à Boma.
Vivi fut la capitale de l’AIC de 1879 à 1885 et capitale de l’EIC à partir du 1er juillet 1885 au 1er mai 1886, soit dix mois. Et ce fut Sir Francis de Wintonqui proclamacette transformation, ratifiée par l’arrêté du 18 septembre 1885. Boma devint la nouvelle capitale, la deuxième capitale du Congo occupé qui se constituait au fil des guerres et des conquêtes des territoires des autochtones Congolais.
Elle était une vieille entité coloniale européenne fondée dès le XVIème siècle par les Portugais. Important lieu du terrible commerce des hommes Noirs appelé aussi traite, Boma demeura incontournable du XVIIème au XVIIIèmesiècles et garda ce statut jusqu’au XIXème siècle, début l’occupation européenne du continent noir.
Il est important de savoir que la traite négrière a vidé une grande partie de la population de l’actuel Bas-Kongo et de l’Angola (Ancien Kongo-dyna-Nza). Les Bateke y ont payé un lourd tribu. D’où leur nom actuel Bateke (les vendus). Il en fut de même des Manyanga (fuyards dans la brousse), des Bandibu ou encore des Bayansi dont l’actuel emplacement y est consécutif. Parti de Zanzibar en 1871, à la tête d’une importante expédition de 190 personnes, Stanley arriva à Boma en 1877, totalement exténué. Il y fut accueilli et glorifié par les Européens qui y habitaient.
C’est donc à partir du 1er mai 1886 que Boma devint la nouvelle capitale de l’État indépendant du Congo. Elle le resta jusqu’en 1929. Car l’acte général de la Conférence de Berlin ayant reconnu l’appartenance de Boma à l’EIC, en devenant la capitale de l’EIC, Boma, mieux connu des Européens, permit de mettre fin aux velléités d’occupation des Portugais. A l’époque des Européens de toutes nationalités, Anglais, Français, Hollandais, Portugais, Suédois, etc., y vivaient. Chaque groupe voulait se l’approprier à l’heure du partage de l’immense Afrique par la petite Europe.
Ce fut depuis Boma que l’ancien EIC connut en 1908 le statut de Congo belge ou le Congo annexé à la Belgique. Elle devint de fait la première capitalede la colonie et joua ce rôle durant onze ans.
Mais très vite Boma parut excentrique et perdit son statut en faveur de Kinsasa, baptisée Léopoldville qui devint la capitale du Congo-belge en 1929, statut que cette ville a gardé depuis l’indépendance jusqu’à ce jour. A l’époque, la proximité de Kinshasa au Haut-Congo, point névralgique de l’exploitation du pays, avait plaidé en sa faveur contre Boma. En ces temps-là les Belges agissaient comme bon leur semblait. Aujourd’hui nous ne sommes plus obligés de suivre leur choix. Un changement de paradigme s’impose qui plaide en faveur d’un nouveau lieu d’implantation de la capitale du Congo.
Il convient de savoir que le but des premières implantations jusqu’à celle de Kinshasa (Léopoldville) était de rapprocher les immenses richesses à récolter de la cuvette centrale pour les acheminer rapidement en Europe. Vivi puis Boma jouèrent d’abord ce rôle avant Kinshasa grâce à la construction du chemin de fer Matadi-Léo. La préoccupation de l’autorité coloniale depuis Bruxelles était l’enrichissement de son pays et de ses concitoyens européens.
En maintenant Kinshasa comme capitale de notre pays indépendant, nous maintenons cette orientation coloniale en notre défaveur. Car aujourd’hui Kinshasa est excentrique et tournée plus vers l’Europe. Pourtant cette ville s’érige en modèle du pays quisuit une coloniale non authentique. C’est pour le briser et innover que j’invite les dirigeants du pays à envisager la construction d’une nouvelle capitale du pays à Bolobo. Pourquoi elle ?
Plusieurs facteurs militent en faveur de cette ville. Premièrement, elle est sur le bord du fleuve Congo qui est la colonne vertébrale du pays. Impérativement, la capitale du Congo doit demeurer sur le bord du fleuve Congo. Secundo, son relief se prête à la construction, à l’hygiène et à la bonne santé de la population contrairement à Kinshasa qui est sablonneuse, marécageuse, rocailleuse, inondable à souhait. En troisième lieu, Bolobo est presque à mi-chemin entre Kinshasa et Mbandaka.
Comme nouvelle capitale, grâce au réseau ferroviaire naturel constitué par le fleuve et ses affluents navigables, elle va rapprocher le Nord et l’Est du pays de l’Ouest, et également du Sud. Car il suffira d’une ligne de chemin de fer depuis Bolobo en passant par Lodja-Lusambo pour atteindre les différentes agglomérations du Kasaï et du Katanga. Cette liaison sera prolongée vers le Nord par bateaux et vers l’Ouest, notamment Kinshasa, par bateaux et par trains. Car une autre ligne de chemin de fer pourra être construite entre Kinshasa-Aéroport-Kinkole-Maluku et Kwamutu-Lediba-Bolobo avec une bretelle sur Bandundu-Ville vers Bagata-Bulungu-Kikwit-Idiofa-Gungu-Kahemba d’un côté et vers Kenge-Popokabaka-Kasongo-Lunda de l’autre. Un grand port fluvial et plusieurs gares de train y seront construits tissant ainsi un véritable réseau de communication multimodale, symbole de l’unité du pays.
Un quatrième atout qui milite en faveur de Bolobo c’est son histoire. Cette ville n’est pas coloniale comme bien d’autres au Congo. C’est une ville ancestrale dont la renommée est séculaire. Car avant l’aventure de Stanley Bolobo était déjà connue. Et quand il a effectué son périple fluvial venant de l’Est, il a admiré cette belle agglomération ancestrale qui lui donna une très belle impression. Elle ressemblait aux villes de l’Afrique de l’Est. Pour cette raison, elle mérite d’être élevée comme capitale de notre pays.
En faisant de Bolobo, notre nouvelle capitale, nous pouvons entreprendre des corrections utiles dans la gestion de notre pays. Mais surtout nous pouvons désormais construire nous-mêmes une ville suivant notre propre génie ancestral en lieu et place de recevoir dans la honte des ouvrages clés-à-mains fabriqués par des étrangers. Ce qui nous infantilise et nous fragilise. Cela veut dire qu’avec cet emplacement, nous pouvons envisager une remontée économique nouvelle en commençant par la réalisation des grands travaux, chemins de fer, ports, aérogares, chantiers de construction navale, usines de transformation de nos nombreux et si riches minerais.
Car nous pouvons dès lors briser l’orientation économique basée sur les matières premières brutes à exporter pour le bénéfice des étrangers. Désormais elles devront être transformées dans notre pays pour acquérir de la valeur ajoutée avant toute exportation et notre pays sera le premier consommateur de ces richesses transformées. Des entreprises de transformation pourront être installées le long des lignes de chemins de fer et des ports vers le Kasaï, le Katanga, le Maniema, etc. Et les ports de Kisangani, Mbandaka, Bandundu, Kikwit, Ilebo, Maluku, Kinshasa, Matadi, Boma et bien d’autres que l’on pourra aussi construire sur l’excellent réseau navigable de notre pays vont s’ajouter aux infrastructures existantes aujourd’hui tristement en état de délabrement avancé.
Notre jeunesse désœuvrée et abandonnée va trouver du travail. Car elle constitue une formidable source d’énergie posée là dont le pays a largement besoin. Nos jeunes bien encadrés et rémunérés vont construire toutes les infrastructures dont on aura besoin en peu de temps et même à moindre coût.
Enfin, Bolobo présente des atouts touristiques immenses. A Bolobo, le fleuve a une largeur qui à elle seule est susceptible d’attirer des foules de visiteurs surtout si un service approprié l’exploite. La nouvelle capitale ne sera plus collée avec celle du Congo voisin, mais va établir des échanges fluviaux utiles avec lui. Cette nouvelle capitale 100% congolaise sera aussi le gage de la préservation de notre grande forêt, notre vie, qui est l’objet de toutes les convoitises.
Prof. Kentey Pini-Pini Nsasay
Université de Bandundu (Uniband) et Institut Africain d’Études Prospectives (Inadep)
Notice bibliographique : https://www.kaowarsom.be/documents/BOC/BOEIC1885-86.pdfak ; https://archives.africamuseum.be/agents/people/45 ; https://e-journal.info/2020/10/vivi-et-boma-les-deux-premieres-capitales-de-la-rdc/ ; Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold. La terreur coloniale dans l’État du Congo, 1884-1908, 3ème édition, Paris, 2007 ; Arthur Conan Doyle, Le crime du Congo belge, Paris, Les nuits rouges, 2005 ; René J. Cornet, La bataille du rail, Bruxelles, L. Cuypers, 1958 ; Georges Sion, Voyages aux 4 coins du Congo, Bruxelles, Doemaere, 1953.