Patrice Emery Lumumba, Mobutu Sese Seko et Tabu Ley
En l’an 2000, le magazine « Jeune Afrique » publie une liste de Cent personnalités africaines qui ont marqué l’histoire de notre continent au cours du XXe siècle. On y retrouve, sur cette liste, les noms de trois congolais de la RDC : Patrice Emery Lumumba, Mobutu Sese Seko et Pascal Tabu Ley. Pour les jeunes d’aujourd’hui, la présence de Tabu Ley sur cette liste peut étonner. Car ils ne sont probablement pas conscients que Pascal Tabu Ley dit « Rochereau » était la grande star africaine des années 1960–70.Tabu Ley, le modèle des chanteurs congolais.
Au Congo, Tabu Ley a eu un impact incomparable sur la musique congolaise moderne, la rumba, et a influencé plusieurs générations de musiciens congolais. Par exemple, Jules Shungu Wembadio, qui deviendra célèbre sous le surnom de Papa Wemba, a chanté « Adios Théthé» de Tabu Ley lors de son recrutement pour la création de l’orchestre Zaïko Langa–Langa. Koffi Olomide s’est toujours proclamé « héritier » ou « successeur » (Mokitani) de Tabu Ley. Sans compter les Emeneya, Reddy Amissi, JB Mpiana, Le Karmapa, Fally Ipupa, Ferre Gola, Fabregas . . .
Tabu Ley, la star africaine des années 1960
En Afrique, Tabu Ley est invité dans toutes les grandes villes du continent (Abidjan, Nairobi, Dar-es-Salam, Lagos, Dakar, Lome, Brazzaville, Libreville, etc). Et souvent lors de ses tournées, des Chefs d’Etat l’invitent dans leur palais et s’enorgueillissent de prendre des photos avec lui. Les mauvaises langues rapportent même que Tabu Ley aurait fait des enfants dans toutes les grandes villes d’Afrique noire.
Une chanson d'anthologie
Le grand Tabu Ley, qui sera surnommé « Le Seigneur Ley », parce qu’il était réellement au – dessus de la mêlée des musiciens congolais et africains des années 1960, sort en 1969, une chanson qu’il chante en duo avec un grand chanteur de charme Ndombe Opetum, intitulée « Christine ». Cette chanson est considérée aujourd’hui comme un classique de la rumba et fait donc partie de l’anthologie de la musique congolaise moderne.
Emeneya rend hommage à Tabu Ley
Etant le premier africain à se produire à l’Olympia de Paris, en 1970, Tabu ley, sera convié, 32 ans plus tard (en 2002), par King Kester Emeneya sur la même scène parisienne afin d’interpréter justement la chanson « Christine » en duo. Comme la plupart des chansons de la rumba congolaise, « Christine » nous raconte une histoire d’amour et de rupture. Mais la particularité de ce tube de Tabu Ley réside plutôt dans la raison de la rupture de cette histoire d’amour entre un jeune homme et sa dulcinée.
Une fiancée qui pousse son amoureux à aller toucher aux fétiches
En effet, Tabu Ley démarre sa chanson, a cappella, par une déclaration douloureuse en demandant à son amoureuse de l’oublier. A ma connaissance, c’est la seule chanson de la Rumba congolaise qui débute par une déclaration de rupture. Mais pourquoi cette rupture brutale ? La raison avancée par le jeune homme est simple. Etant jeune et pauvre, sa fiancée lui demande d’aller voir un féticheur pour s’enrichir, avant qu’elle consente au mariage. Face à cette condition, qui va à l’encontre de ses propres principes (ne pas toucher aux fétiches), le jeune homme va décider, malgré l’immense amour qu’il éprouve pour sa fiancée et la profonde douleur que lui cause cette séparation, de mettre un terme à cette relation.
Une grande leçon de vie
A travers cette chanson, Tabu Ley donne aux jeunes et aux moins jeunes une grande leçon de vie. Lorsqu’il arrivera dans votre vie que vos sentiments, vos émotions entrent en contradiction avec vos principes, vos valeurs, vos convictions religieuses, ayez le courage de prendre la bonne décision ; quelles que soient la peine ou les conséquences immédiates de votre décision. Sachez qu’à plus ou moins long terme, votre décision vous sera bénéfique, car c’est ainsi que se comportent ceux qui réussissent dans la vie. Ils ont la capacité de prendre des décisions difficiles, en transcendant leurs sentiments.
Voici les paroles de cette belle chanson « Christine » du Seigneur Tabu Ley.
« - Christina ! Nakosenga na yo obosana ngai !
Nasali nionso ekoki po tosangana na mariage (2x)
- Christina ! kanisa moke nionso olobi na ngai ;
olobi naluka kisi pona nazua mbongo nde tobalana
- Ngai nakokoka te ya solo Christine ;
la vie oyo ya ngai ya bomwana
- Nalingi yo ya solo Christine
Nakamati décision na mayi na miso
- Nakosala mikolo po nabosana yo,
muasi na ngai ya liboso awa na mokili
Refrain :
- Awa nalobi nionso,
nzoto ekoninga lokola na piyo
- Monoko elobi kasi
motema ekokanisa kaka na chérie
- Monoko e decider kasi
motema ekokanisa kaka na chérie
- Christine changez motema
po te tolingana kaka na bo pauvre na biso
- Tangu ezali nanu,
vanda moke okanisa ndenge tolingani.
Traduction :
« Christine ! Je te demande de m’oublier !
J’ai fait tout mon possible pour qu’on se marie (2x)
Christine ! Souviens – toi un peu de tout ce que tu m’as dit.
Tu m’as demandé de chercher des fétiches pour m’enrichir
afin qu’on puisse se marier.
En vérité, je ne pourrais pas faire ça Christine ;
je suis encore très jeune.
- Je t’aime vraiment Christine ;
Mais je prends ma décision, la mort dans l’âme, des larmes aux yeux.
Ça me prendra du temps pour t’oublier,
toi la première femme de ma vie.
Refrain :
- Maintenant que j’ai tout dit
Tout mon corps tremble comme s’il faisait froid.
- C’est ma bouche qui a parlé
mais mon cœur continue de penser à ma chérie
- La bouche a décidé
mais le cœur continue de rêver à ma chérie
- Christine, s’il te plait, change d’avis
pour qu’on continue à s’aimer dans notre pauvreté
- Nous avons le temps devant nous,
pose-toi et pense un peu comment nous nous aimons.
Bien que le jeune homme semble demander à sa dulcinée de revoir sa position, la chanson se termine, comme au tout début, par la même déclamation a cappella où il réitère tout de même sa décision de rupture.
Thomas Luhaka Losendjola
Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre, avocat et Député national