En cas de conflit entre la RDC et la RCA, c’est la population civile qui n’a pas de force qui en payerait le prix (Martin Ziguele) 

En cas de conflit entre la RDC et la RCA, c’est la population civile qui n’a pas de force qui en payerait le prix (Martin Ziguele) 

L’ancien Premier ministre entre avril 2001 et mars 2003, Martin Ziguele, s’est confié à la Gazette du Continent dans un entretien exclusif. Il est président du parti politique « Mouvement de libération du peuple centrafricain ». 

Il parle de sa vision pour que les coups d’Etat appartiennent au passé. Il revient sur les relations entre la RDC et la RCA qui connaissent l’insécurité due à des groupes armés.  

L’histoire de la RCA a été marquée par des coups d‘Etat. Votre pays va-t-elle dans la bonne direction, c’est-à-dire accéder au pouvoir par les élections ? 

La situation en Centrafrique est toujours difficile. Les groupes armés qui avaient repris les armes sous une « coalition des partis pour le changement » avaient tenté de prendre la capitale Bangui fin 2020 et début 2021. L’intervention des forces de sécurité appuyée par le Rwanda et les mercenaires du Groupe russe Wagner ont permis de réoccuper pratiquement et progressivement toutes les villes. Mais il n’en demeure pas moins que plusieurs groupes armés sont sur le territoire national. Ils continuent de harceler les différentes positions des forces armées à des confrontations localisées et qui causent naturellement des pertes en vies humaines aussi bien pour la population civile que sur les militaires. Récemment encore, au lendemain même de pseudo-référendum organisé par le président Touadera pour demeurer au pouvoir au-delà de son terme constitutionnel, treize personnes avaient été tuées dans le nord du pays, des villageois par ces groupes armés. Donc, c’est une situation sécuritaire qui reste délétère. 

Il y a des groupes armés centrafricains qui font des incursions en RDC. Quelle serait la réponse appropriée pour éviter que la situation ne dégénère entre les peuples centrafricain et congolais ? 

Les Centrafricains sont un peuple épris de paix. A ma connaissance, il n’y a pas de groupes armés autochtones centrafricains qui ont fait des incursions en RDC. Il s’agissait d’abord de la LRA. Historiquement, la LRA, un groupe armé d’origine ougandaise, était implantée dans l’extrême sud-est de la RCA qui est pendante à la province du Nord-Uélé ou du Nord-Ubangi en RDC. Récemment, les groupes armés UPC, les Anti-Balaka... se réfugiaient au Congo quand ils sont chassés en Centrafrique ou se ravitaillent parfois la-bas également. Je crois qu’aujourd’hui ce qui est important, ce qu’il ait une coopération entre les deux pays pour faire encore que ces groupes armés ne puissent pas détériorer les relations entre les populations sœurs. Il y a d’un côté la rivière de l’Oubangui parce que de Bangui de la frontière avec le Congo-Brazzaville, de Moungoumba jusqu’à l’extrême est de la RCA, l’Oubangui nous sépare avec le Congo mais l’Oubangui unit plutôt  les peuples qui sont des populations sœurs d’un côté et de l’autre de la rive. N’oublions pas que les frontières sont coloniales et que la famille existait avant la colonisation. Notre vœu en tant que politique naturellement, c’est de faire que les autorités de ces deux pays-là mettent en place et renforcent la sécurité et évitent ces incursions. S’il y a conflit entre la RDC et la RCA, naturellement ceux qui en payeront le prix c’est la population civile qui n’a pas de force.

La RCA a connu ou a été marquée par les différents coups d’Etat. Cette fois-ci, la RCA va-t-elle dans la bonne direction, c'est-à-dire accéder au pouvoir par la voie des urnes ?

 Dans tout Etat de droit, dans toutes les Républiques, les vœux des forces politiques c’est qu’on ne parle plus des coups d’Etat. C’est pour ça que nous les condamnons toujours avec fermeté. Quand je dis nous, je parle de mon parti le « Mouvement de libération du peuple centrafricain » qui est le premier parti politique démocratique à accéder au pouvoir de l’Etat par la voie des urnes en 1993 dont notre ADN est marqué par cette victoire démocratique d’une force politique qui venait de l’opposition. Et donc, nous ne pouvons pas avaliser un coup d’Etat. Nous ne pouvons pas imaginer l’avenir politique d’un pays et à fortiori de notre pays avec un coup d’Etat. Le coup d'État est une usurpation de la légitimité populaire et de la souveraineté populaire. Il faut toujours le souligner. Un coup d'État est une escroquerie politique et militaire. Donc, nous le condamnons. Nous ne souhaitons plus ça pour notre pays ni pour aucun pays africain. Le coup d'État au-delà du fait que cela entraîne toujours des violences difficilement cicatrisables, mais en plus le coup d'État est un recul sur le plan démocratique et sur le plan économique. Quand il y a un coup d’Etat, l’économie d’un pays s'arrête, tout le monde est dans l’attente de savoir ce qui va se passer. Seulement, il y a plein de transitions improbables qui débouchent parfois sur des élections contestées. Puis, on entre là dans un cercle vicieux. Nous condamnons cela.

 Qu’est-ce que les acteurs politiques centrafricains font surtout ceux qui sont au pouvoir pour éviter que les militaires ne reviennent au pouvoir par un coup d’Etat ? 

Je pense que la question devrait être posée plutôt à ceux qui gèrent le pouvoir. Nous ne sommes qu’un parti de l'opposition. En tant que démocrate et républicain, je pense, c'est la démocratie seule, l'exercice réel de la démocratie, des élections qui ne soient pas truquées, que les instruments de gestion des élections de type autorité nationale des élections, Conseil national des élections, agence nationale des élections, par-ci par-là, ne soient pas des appendices du pouvoir afin de favoriser les fraudes électorales. Lorsque les élections sont contestées, naturellement ça entraîne des conséquences irrémédiables sur la démocratie. Si nous jouons tous le jeu démocratique, tous, pouvoir comme opposition, de manière franche, sincère, il n’y aura pas de risque de coup d'État. C’est valable pour tous les pays et pas seulement pour la RCA. 

Si la Centrafrique retrouve la paix, comment va-t-elle réparer toutes les violations graves des droits de l’homme que les Centrafricains ont connu et comment les victimes peuvent-elles obtenir réparation ?  

Mais c’est par la voie de la justice. La République Centrafricaine a signé avec la communauté internationale, notamment, la CPI, un accord qui a créé ce qu'on appelle la Cour pénale spéciale qui est une juridiction. Elle a à peu près la même compétence juridictionnelle que la CPI, mais elle est limitée à la République Centrafricaine et qui cherche à juger tous les crimes de sang et crimes de guerre par principe de subsidiarité avec la CPI. Naturellement, il y a les cours et tribunaux, tout en sachant que la justice est un pilier de la stabilité et de la paix si la justice fonctionne normalement. Surtout si elle est saisie et qu’elle juge de manière correcte, satisfaisante tous les cas de crime, cela permet de parfaire la réconciliation, à l’instar de la Commission justice et réconciliation. 

Enfin, quelle est votre vision pour la future Centrafrique ?

Ma vision pour la Centrafrique, c'est le titre de livre que j'ai écrit depuis 2016. C'est de revenir aux fondamentaux du développement. C'est-à-dire que pour se développer, pour faire que les hommes et les femmes dans ce pays vivent bien et s'épanouissent, il faut d'abord qu’il ait la paix, la sécurité et la stabilité. L'État doit se renforcer, il doit gérer une économie fiable et efficace pour constituer les parts nécessaires aux investissements qui permettront à ce pays-là d'offrir à ses habitants les services sociaux de base qu'on est en train d'attendre d’un État et puis de permettre de développement. Donc, l'épanouissement des filles et des fils de la Centrafrique. C’est bien notre ambition.

 

La Gazette du Continent

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